A l'assaut des colosses

Leur travail est invisible, car enterré à une centaine de mètres sous terre. Mais tandis que la course contre la montre est engagée en surface pour construire le LHC, des équipes s'activent en sous-sol pour démonter le LEP et ses expériences. Quatre mois après le début des opérations, les coordinateurs techniques des expériences témoignent de l'avancement des travaux.

Les petits hommes à l'attaque du géant ALEPH. Le barrel et ses deux bouchons ont été déplacés au bout de la caverne et dépouillés de leurs câbles. La mise en pièce du détecteur peut commencer.

A ALEPH, les baraques extraites d'un bloc

Jean-Paul Fabre, coordinateur technique d'ALEPH : «Après la mise en sécurité des installations, la première étape a été de retirer les câbles. Quelque 210 mètres cubes de câbles ont été sortis. Ensuite les salles de comptage qui entouraient le détecteur ont été évacuées. Elles ont été extraites, l'une après l'autre, d'un seul bloc, par le puits de 10 mètres de diamètre et de 150 mètres de haut. Elles passaient à 15 centimètres près ! A leur arrivée en surface, elles ont été vidées de leur contenu, puis livrées aux ferrailleurs. Le détecteur dégagé a été glissé à l'autre bout de caverne, en position de garage. Son démontage va pouvoir commencer. Nous allons commencer par les sous-détecteurs proches de la ligne de faisceau, le détecteur de trace interne, la chambre à projection temporelle, puis le calorimètre électromagnétique. Nous devrions avoir complètement terminé le démantèlement début septembre, et sûrement même avant.»

Les millions de câbles ont disparu, l'acier est à nu ! Le démontage de tous les sous-détecteurs des bouchons laisse apparaître les disques d'acier des calorimètres à hadrons qui pèsent 450 tonnes chacun.

A DELPHI, les deux tiers des tâches effectuées

Christian Joram, coordinateur technique de Delphi et des tâches communes pour le démantèlement des quatre expériences : «Le planning du démantèlement de DELPHI est respecté à quelques jours près et nous devrions terminer avant fin mai. 67 des 80 tâches programmées ont été effectuées, dont le démontage de nombreux sous-détecteurs comme les chambres à muons ou le détecteur interne. Mais les dernières tâches sont les plus colossales, avec l'extraction de grands composants comme les calorimètres hadroniques des bouchons d'environ 900 tonnes. Jusqu'à présent, les opérations dans les quatre expériences se sont déroulées en toute sécurité, avec un incident seulement mais pas trop sérieux. Notre souci, pour l'instant, ce sont les 500 mètres cubes de câbles entreposés sur les sites des expériences qui attendent l'autorisation des douanes suisses pour être évacués par la compagnie chargée de leur recyclage. A part cela, la coopération avec les instituts universitaires, les groupes du CERN et les entreprises fonctionne à merveille. A Delphi, les équipes des universités ont réalisé un travail remarquable. Quatre collaborateurs de l'Université italienne de Padoue ont par exemple entièrement démonté en seulement quatre semaines les calorimètres électromagnétiques des bouchons qui comptent 128 modules avec 10 000 blocs de verre au plomb. Un groupe de l'Université anglaise d'Oxford a effectué le démantèlement de plus de cent chambres à muons. Ce qui l'a tenu en haleine pendant un bon mois.»

Perchés dans le calorimètre hadronique, Moktar Alidra, technicien de la firme Soteb, et Peter Levtchenko, physicien des instituts P.N.P.I. de Saint-Pétersbourg (Russie) et de Perugia (Italie), démontent une chambre FTC (forward tracking chamber).

L3 partagé par le monde entier

Lucien Veillet, coordinateur technique de L3 : «Un tiers du travail a été effectué, mais un dixième seulement en tonnage. A l'intérieur du tube support central, nous avons démonté toute la partie machine, les calorimètres hadroniques et électromagnétiques des bouchons et le détecteur de vertex. Les briques de verre au plomb du calorimètre électromagnétique ont été partagées entre l'institut italien de Rome et le laboratoire français LAPP d'Annecy. Le détecteur de vertex a été renvoyé à l'école ETH de Zürich et le microdétecteur de vertex au silicium à Perugia. Sur la couronne extérieure du détecteur, les scintillateurs de l'expérience L3 cosmic sont partis pour la Chine. Quelques chambres à muons des extrémités ont été récupérées par les instituts allemand d'Aix-la-Chapelle et italien de Naples tandis que seize autres sont parties à la casse. La moitié des câbles a été retirée. Leur évacuation nous pose d'ailleurs quelques difficultés car, à cause du manque de place dans la caverne, nous ne pouvons descendre de grandes bennes et le puits est vite engorgé. Pour le reste, les mesures de radioactivité ont montré qu'il est plus dangereux de passer une journée au ski en haute altitude que dans la caverne L3, tellement les taux sont bas !»

Levée d'un engin de manutention pour démonter les 'cloches' métalliques qui servent à maintenir la pression et sont à l'intérieur de l'aimant sur la section centrale d'OPAL, à droite sur la photo.

OPAL dépouillé de ses blocs de verre

Alasdair Smith, coordinateur technique de OPAL : «Le démantèlement d'OPAL est à mi-parcours en temps. Les cinq plus grandes baraques électroniques ont été démontées. Côté détecteur, les moniteurs de luminosité et les sous-détecteurs au plus près de la ligne de faisceau, dont le microdétecteur de vertex au silicium, ont été les premiers extraits. Les calorimètres hadroniques des bouchons, le pré-échantillonneur et le détecteur «temps de vol» ainsi qu'une moitié des chambres à muons des extrémités ont ensuite été démontés. Le détecteur central a été retiré en un seul morceau de quatre mètres de diamètre sur cinq mètres de long. Les 2264 blocs de verre au plomb des calorimètres électromagnétiques des bouchons viennent d'être démontés. Nous nous attaquons maintenant au calorimètre électromagnétique du barrel, soit environ 10 000 blocs de verre à extraire en 10 morceaux de 1000 blocs ! Nous allons également débuter le démantèlement de la section centrale de l'aimant, constituée d'une bobine de 4,5 mètres de diamètre sur 8 mètres de long. Nos câbles sont récupérés par trois autres expériences qui souhaitent les réutiliser. Nous devons avoir fait place nette avant fin juin, mais ce sera difficile car ce sont les plus gros morceaux qui restent à démonter.»