LHC : première descente aux températures les plus basses

Une unité de cryogénie du LHC définitivement installée en souterrain est parvenue pour la première fois à effectuer un refroidissement à 1,8 Kelvins (-271°C), la température à laquelle fonctionnera l'accélérateur en 2007.


Une partie de l'équipe chargée de superviser l'installation et la mise en service de l'unité de production cryogénique au point 8. De gauche à droite : Guillaume Vincent du consortium Air Liquide-Linde-Serco chargé de l'exploitation des installations cryogéniques du CERN, Gérard Ferlin, ingénieur de projet CERN et Adrien Forgeas, du CEA Grenoble.

La cryogénie du LHC a franchi une nouvelle étape vers les températures les plus basses. Le 7 avril dernier, l'unité de production cryogénique installée au point 8 a fonctionné à la température de 1,8 K (-271°C). C'est celle qui régnera dans tout l'anneau du LHC en 2007. L'accélérateur sera en effet refroidi à cette température proche du zéro absolu afin que les aimants qui le constituent puissent fonctionner à l'état supraconducteur et engendrer un champ magnétique suffisant pour incurver la trajectoire des protons lancés quasiment à la vitesse de la lumière.

Certes, l'alliage qui constitue le coeur des aimants du LHC, le niobium-titane, devient supraconducteur à une température un peu supérieure. La température de l'hélium liquide, c'est-à-dire 4,5 K, pourrait donc suffire, « mais à 1,8 K, on tire un meilleur parti du matériau supraconducteur et de la capacité de refroidissement de l'hélium », observe Serge Claudet, responsable de l'équipe chargée de la production de la cryogénie pour le LHC. L'hélium devient alors superfluide. Cet état lui permet de circuler quasiment sans viscosité et lui confère une capacité supérieure de transfert de chaleur.

Les propriétés étonnantes obtenues à cette température sont à la mesure des défis pour y parvenir. Le système de réfrigération du LHC est bien plus complexe qu'une simple succession de congélateurs. Ce sont des dizaines de tonnes d'équipements et de machines - stations de compression, boîtes froides avec turbines de détente et échangeurs de chaleur, lignes d'interconnexion - qui doivent être installées. L'ensemble constitue un système unique en son genre.

Le refroidissement se réalise en deux étapes. Huit réfrigérateurs - un par secteur du LHC - assurent le refroidissement jusqu'à 4,5 K. Depuis la fin 2003, quatre nouveaux réfrigérateurs sont installés (voir Bulletin no 07/2004), tandis que quatre anciens modèles hérités du LEP sont en cours d'adaptation. Chacun de ces énormes réfrigérateurs est complété par un système de pompage sophistiqué pour gagner encore 3 degrés - les plus difficiles car on s'approche du zéro absolu - et parvenir aux fameux 1,8 K. En effet, selon les lois de la thermodynamique, la température d'ébullition d'un fluide varie avec la pression. Pour refroidir, il faut réduire la pression de saturation et donc pomper. A titre d'exemple, dans votre bouilloire, l'eau bout à 100°C au niveau de la mer. Mais au sommet du Mont-Blanc, il suffit de 84°C pour la faire bouillir et, à une pression environ cent fois plus faible que la pression atmosphérique, il n'est besoin que de 10°C. C'est sur ce principe que repose le système de réfrigération à 1,8 K. Pour parvenir en pratique à la pression de 15 millibars, il combine des compresseurs centrifuges hydrodynamiques fonctionnant à basse température avec des compresseurs volumétriques à température ambiante.

C'est donc une de ces unités complexes, construite par le consortium helvético-japonais IHI-Linde, qui, associée à l'ensemble de la chaîne de réfrigération, a fonctionné pour la première fois in situ début avril. Les préséries avaient été validées en 2002 et 2003, mais en surface avec des moyens d'essais spécifiques. La petite équipe de 6 personnes du CERN et du CEA Grenoble qui a supervisé le travail peut donc se féliciter. « L'installation et la mise en service de ces machines constituent un travail d'une grande exigence technique », observe Gérard Ferlin, ingénieur de projet, «  avec comme difficulté supplémentaire qu'il faut maintenant le réitérer sept fois ».

Les quatre unités construites par IHI-Linde sont déjà installées et seront réceptionnées cette année, tandis que les quatre autres unités, réalisées par la société française Air Liquide, sont en cours d'installation et seront testées en 2006. Les 27 kilomètres du LHC pourront alors connaître le grand frisson.


Diagramme de phases de l'hélium : l'hélium est d'abord refroidi à 4,5 K. Puis, la pression est réduite à 15 millibars et la température baisse parallèlement à 1,8 K. L'hélium devient alors superfluide.