Neutrinos, prêts, partez!

Au moment où le Bulletin allait paraître, CNGS était sur le point de produire ses premiers neutrinos. La mise en service progressive de l'installation doit mener à la production d'un faisceau nominal courant août.


La cible de CNGS avant son installation en souterrain.


La ligne de transfert de protons du SPS vers le tunnel de CNGS.

L'équipe de CNGS est à pied d'oeuvre pour envoyer les premiers faisceaux de neutrinos vers le laboratoire de Gran Sasso en Italie, à 732 kilomètres du CERN. La semaine du 10 juillet, dans le Centre de contrôle du CERN, l'équipe a donné le signal de départ de la grande course des neutrinos vers l'Italie. Des milliards de neutrinos ont pour la première fois été produits.

Le projet CNGS (Neutrinos du CERN vers le Gran Sasso) a pour objectif de percer certains des mystères qui entourent les neutrinos. Neutres et extrêmement légers, les neutrinos interagissent très peu avec la matière. Cette grande difficulté à les intercepter explique en partie le mystè re qui les entoure (voir encadré). On sait qu'il existe trois types - ou saveurs - de neutrinos: le neutrino de l'électron, le neutrino du muon et le neutrino du tau. Mais, entre autres énigmes, les physiciens s'interrogent sur le flux de neutrinos en provenance du Soleil, bien moins important que prédit par la théorie. Ce déficit des neutrinos solaires pourrait être dû à une transformation des neutrinos d'une saveur en une autre, processus qui a été observé par des expériences récentes. Ce phénomène d'oscillation est directement relié à une autre question fondamentale, celle de la masse des neutrinos. L'oscillation a montré que les neutrinos avaient une masse, mais elle n'est toujours pas déterminée.

Le projet CNGS doit mettre en évidence de manière directe l'oscillation des neutrinos supposée se produire sur de longues distances. A l'issue de leur voyage à travers l'écorce terrestre, les neutrinos créés au CERN traverseront le détecteur OPERA. L'expérience doit identifier les neutrinos du tau qui se seront transformés à partir de neutrinos du muon au cours du voyage, démontrant par là même l'oscillation.

Pour produire un faisceau de neutrinos de haute intensité, dont le flux nominal doit atteindre 1017 neutrinos par jour (100 millions de milliards !), une installation complexe a été mise en place à 80 mètres sous terre, connectée aux accélérateurs du CERN. Un faisceau de protons accéléré à 400 GeV par le SPS est éjecté dans une ligne de transfert de 800 mètres de long, dirigée vers le Gran Sasso et équipée d'une centaine d'aimants. Les protons viennent ensuite frapper une cible de 2 mètres de long, constituée d'une série de petits cylindres en graphite. Les interactions au sein de la cible donnent naissance à des pions et des kaons.

Les pions et kaons produits traversent alors un système de deux cornes magnétiques, véritables lentilles qui les orientent et les focalisent en un faisceau parallèle dirigé vers le Gran Sasso. Les pions et kaons se désintègrent ensuite le long d'un tunnel sous vide de 1000 mètres. Dans la plupart des cas, ils produisent des paires de muons et de neutrinos du muon. À la sortie de ce tunnel, un système d'absorbeur de faisceau, formé d'une paroi en graphite de 3 mètres d'épaisseur et d'un mur en acier de 15 mètres, absorbe toutes les particules indésirables: protons rescapés de la cible, pions ou kaons qui ne se sont pas désintégrés. Il reste alors un faisceau de muons, rapidement arrêté par la roche, et des neutrinos du muon qui poursuivent leur périple vers le Gran Sasso. Derrière l'absorbeur de faisceau, deux détecteurs à muons mesurent le flux de muons produits. Les muons et neutrinos du muon étant produits par paires, la mesure de la trajectoire des muons permet de déduire les caractéristiques du faisceau de neutrinos du muon. Cette donnée est importante pour le contrôle de qualité du faisceau envoyé par le CERN au Laboratoire du Gran Sasso.

L'équipe de CNGS a mis progressivement en service toute l'installation depuis le début du mois juillet. Quelques 200 équipements ont d'abord été testés sans faisceau. Puis, dès le 10 juillet, les protons du SPS ont été envoyés progressivement à travers tous les composants de l'installation. «Nous utilisons un faisceau 100 fois moins intense que le faisceau nominal pour cette premiè re phase de la mise en service», explique Konrad Elsener, chef du projet CNGS. À la fin du mois de juillet, une analyse détaillée de tous les systèmes sera réalisée avant de poursuivre la mise en service dans le courant du mois d'août avec un faisceau d'intensité nominale.

Ce démarrage couronne des années de travail de l'équipe CNGS, qui implique environ 150 employés au CERN. Il récompense également tous les départements ainsi que les collaborateurs d'autres laboratoires qui ont participé à cette aventure, depuis la conception dans les années 90, aux premiers coups de pelle du génie civil en octobre 2000, jusqu'à la construction et à l'installation des éléments ces dernières années.

Le saviez-vous?

Les neutrinos sont parmi les particules les plus envahissantes de l'espace mais également les plus insaisissables. Chacun d'entre nous est traversé par 400000 milliards de neutrinos chaque seconde en provenance du Soleil, mais seulement un ou deux seront diffusés par notre corps au cours de notre vie entière! Pour 1017 (100 millions de milliards) neutrinos du muon envoyé par le CERN chaque jour, 1011 (100 milliards) devraient traverser le détecteur OPERA au Laboratoire de Gran Sasso. Sur ces 100 milliards, seulement 25 neutrinos du muon devraient être interceptés et détectés chaque jour par OPERA, lorsque l'expérience sera complétée. Les neutrinos du tau issus des oscillations seront encore plus rares, puisqu'on s'attend à en détecter une quinzaine en cinq ans.