Maurice Jacob 1933 - 2007

Maurice Jacob, théoricien du CERN, nous a quitté soudainement le 2 mai à la suite d'une crise cardiaque.

Tout au long de sa carrière de chercheur, Maurice a été une figure éminente de la théorie des hadrons à haute énergie. Au début, il a, avec Giancarlo Wick, contribué de façon importante à l'élaboration du formalisme de l'hélicité, de plus en plus utilisé dans les calculs théoriques actuels. C'était également un expert dans le domaine de la physique de la diffraction. Avec Sam Berman, il a formulé l'observation décisive selon laquelle la présence de structures partoniques ponctuelles dans la diffusion profondément inélastique indiquait l'existence de processus à impulsion transversale élevée dans les collisions proton-proton, comme cela a été confirmé par la suite aux ISR du CERN. Il a été un pionnier de l'étude des processus de production inclusive de hadrons et, en particulier, du comportement d'échelle («scaling») et de ses violations. Il a fait, en collaboration avec Ron Horgan, des prévisions détaillées concernant la production de jets au collisionneur proton-antiproton du CERN, qui ont ultérieurement été observées dans les expériences UA2 et UA1.

Maurice a travaillé en étroite collaboration avec ses collègues expérimentateurs pour prédire et interpréter les résultats des collisionneurs successifs du CERN. Il a organisé sans relâche des réunions régulières sur la physique des ISR, réunissant des théoriciens et des expérimentateurs pour débattre de la signification des nouveaux résultats et proposer de nouvelles mesures. Il a été l'un des plus ardents défenseurs du projet de collisionneur proton-antiproton quand celui-ci a été proposé par Carlo Rubbia, et il a joué un grand rôle dans la préparation de l'expérience et la diffusion de ses résultats. C'est lui qui a organisé en 1978 l'atelier des Houches, qui a fait connaître plus largement le projet LEP auprès des physiciens des particules européens. Il a également organisé l'atelier ECFA tenu à Lausanne qui a permis la première exploration du potentiel de physique du LHC. Il est tragique que Maurice n'ait pas vécu assez longtemps pour voir les premières données du LHC.

Entre 1982 et 1988, Maurice a dirigé la Division de physique théorique du CERN, et a participé activement à la gestion du laboratoire. Il s'est toujours montré extrêmement consciencieux, voire scrupuleux, dans l'exercice de ses responsabilités. Les collègues qui travaillaient alors dans cette division à l'époque se souviennent de son humanité et de son souci de veiller à ce qu'ils puissent avancer dans leurs travaux sans être encombrés par les tâches administratives, qu'il leur épargnait discrètement. Sa participation au spectacle de Noël de la division Théorie a toujours été vivement appréciée, en particulier l'année où il est apparu en Schtroumpf.

Parallèlement à son activité et à ses responsabilités au CERN, Maurice arrivait encore à trouver le temps et l'énergie de jouer un rôle majeur dans la Société française de physique, dont il a été président en 1985, dans la Société européenne de physique, dont il a été président de 1991 à 1993, et dans le domaine de la publication scientifique. Il a pendant des années apporté un soutien enthousiaste aux revues de physique européennes, notamment à celles publiées par North-Holland, aujourd'hui Elsevier. Il a d'ailleurs été, avec fougue et un grand sens de l'équité, rédacteur en chef de Physics Letters B et fondateur de Physics Reports.

Au cours des années 1990, Maurice a mis au service du CERN sa connaissance approfondie des milieux européens de la physique en étant le conseiller de Chris Llewellyn Smith pour les relations avec les États membres. Il a voyagé sans relâche, consulté très largement et servi avec constance la communauté de la physique des particules en assurant une liaison précieuse entre l'Organisation et ses nombreux partenaires, au cours d'une période difficile où l'approbation et le financement du LHC étaient en jeu.

Par la suite, Maurice est retourné au calme relatif de la division Théorie. Malheureusement, il a été affligé d'une maladie chronique et invalidante qui ne lui a pas permis de profiter pleinement d'une retraite bien méritée. Toutefois, il a su conserver sa sérénité et sa curiosité, et son intérêt actif pour la physique et les questions intéressant le CERN en général, en se penchant à nouveau sur les collisions d'ions lourds relativistes et le plasma quarks-gluons. Qui mieux que Maurice aurait pu superviser l'élaboration du volume publié à l'occasion du cinquantenaire du CERN?

Les nombreux amis de Maurice à travers le monde ont pu apprécier sa gentillesse désintéressée, sa modestie, sa lucidité, son énergie et son inépuisable bonne volonté lorsqu'il s'agissait de les aider et de les conseiller. Il nous manquera cruellement.

Avec le décès soudain de Maurice Jacob, le CERN perd l'une de ses grandes figures, la physique française l'un de ses piliers, la physique des particules européenne l'un de ses serviteurs les plus dévoués, et ses nombreux amis un soutien indéfectible.

Nos pensées vont à sa femme Lise, à ses enfants Jimmy, Thierry, Francis et Irène et à leurs familles, pour nous associer à leur deuil devant cette perte irréparable.

John Ellis