Sergio Bertolucci - Insuffler du dynamisme dans la recherche

Sergio Bertolucci devient directeur de la recherche et de l’informatique au moment où le LHC se prépare à livrer ses premiers résultats de physique. Au cours de cet entretien, il explique l’importance d’allier collaboration et concurrence pour le succès du programme scientifique du LHC.



Sergio Bertolucci vit avec passion ce moment exaltant de l’histoire du CERN, et son enthousiasme ne faiblit pas tout au long de l’entretien. Évoquant le début de la phase de résultats de physique du LHC, il aime à citer la devise latine «Festina lente» (Hâte-toi lentement). «Le LHC est sans doute l’entreprise scientifique la plus grande et la plus complexe jamais mise en œuvre, estime Sergio Bertolucci. Elle nous conduira certainement à une nouvelle phase de notre compréhension de l’Univers. La nature nous donne déjà quelques indications, mais seul le LHC nous permettra d’observer les nouveaux phénomènes que nous attendons. Toutefois, étant donné sa complexité, cette machine ne nous permet pas de prendre des libertés avec les procédures.»

Pour les physiciens, le LHC est une machine à découverte, à tel point que découvrir un boson de Higgs exactement tel que le postule le modèle standard serait presque décevant. Étant donné que les expériences du LHC ne livreront les premiers résultats de physique qu’en 2009-2010, la possibilité demeure que d’autres expériences arrivent avant elles à des découvertes importantes. «En principe, c’est possible, confirme Sergio Bertolucci. Néanmoins, pour moi, ce serait toujours une bonne nouvelle. Quand on parle de recherche fondamentale, on doit toujours envisager ses deux aspects de collaboration et de concurrence. Du point de vue de la concurrence, naturellement, je serais déçu d’apprendre qu’un autre laboratoire a atteint l’un des objectifs scientifiques du LHC. Mais, d’un autre côté, toute indication d’une nouvelle physique sur une autre machine ouvrirait des perspectives de nouvelles découvertes au LHC ainsi que la possibilité d’étudier plus en détail ce qui aura été observé ailleurs. C’est une caractéristique unique de notre grand accélérateur. En physique, comprendre est souvent plus important que d’être le premier à découvrir quelque chose.»

L’un des engagements du Directeur général est de développer le programme scientifique hors LHC. Cela laisse penser que de nouvelles expériences, plus petites, vont bientôt se développer sur le site du CERN. Après des années qui ont vu un nombre toujours croissant de physiciens se rassembler autour d’énormes détecteurs, serait-ce un retour en arrière?

«Quand j’ai commencé ma carrière de physicien, explique Sergio Bertolucci, une expérience regroupait 15 personnes. À CDF, nous étions environ 90, et les expériences du LEP, quant à elles, comptaient 500 scientifiques. À présent ATLAS et CMS comptent plus de 2000 membres chacune. Cela ne change pas seulement l’organisation des équipes, cela change aussi en profondeur la façon dont la recherche fondamentale est menée. Par le passé, un physicien pouvait, au cours de sa carrière, participer à plu-sieurs cycles expérimentaux – conception, construction, prise de données, analyse –. Aujourd’hui, étant donné les dimensions des projets scientifiques, qui entraînent nécessairement l’allongement de la phase de construction du dispositif et de la phase d’acquisition et d’analyse de données, les physiciens se consacrent souvent à une seule et même tâche pendant de longues années. Si nous ne faisons rien, cela pourrait créer des générations de physiciens ultra-spécialisés; c’est pourquoi il est important de favoriser la mise en place de petites expériences pour continuer à avoir une communauté scientifique dynamique. «Petite» ne veut pas dire «moins ambitieuse». Un bon exemple en est l’expérience NA62 qui s’intéressera aux désintégrations rares et qui est actuellement dans une phase avancée du processus d’approbation. Le projet est extrêmement ambitieux, tant du point de vue du détecteur que du point de vue de la physique. Un atelier aura lieu au printemps pour évaluer la situation et encourager la soumission de nouvelles propositions d’expériences.»

C’est pourquoi, malgré une situation financière tendue, la Direction ne semble pas manquer d’optimisme et d’enthousiasme pour l’avenir. «Nous devons élargir la portée du CERN et en faire un laboratoire plus mondial, souligne Sergio Bertolucci. Le CERN est un endroit exceptionnel où la nouvelle génération de physiciens et d’ingénieurs pourra se confronter à de passionnants défis en bénéficiant de l’expertise des générations précédentes. Nous avons ici quelques-uns des meilleurs spécialistes des accélérateurs, un large éventail de compétences en ingénierie ainsi que deux communautés très actives de physiciens, les expérimentateurs et les théoriciens. Notre mission est de maintenir ce niveau d’excellence. Pour ce faire, nous devons rechercher de nouveaux partenariats avec trois grandes régions du monde: le continent américain, l’Asie et l’Europe.»

En 2008, notre laboratoire a suscité un intérêt accru du public. Le point culminant a été le 10 septembre: des millions de personnes ont suivi sur différents médias la circulation des premiers faisceaux dans le LHC. Cet événement nous a permis de comprendre combien le public suit de près ce que nous faisons et veut savoir comment et pourquoi nous effectuons nos recherches. «C’est la société dans son ensemble qui est notre employeur, conclut le Directeur de la recherche et de l’informatique. Nous nous devons d’informer le public correctement et de lui transmettre l’enthousiasme que nous mettons dans notre travail. Notre recherche ne devrait jamais être perçue comme dangereuse. La recherche fondamentale ne modifie ou ne perturbe pas les mécanismes naturels; elle s’efforce simplement de trouver des façons nouvelles d’explorer la Nature et de comprendre ses mécanismes. L’histoire nous montre que c’est cette recherche, motivée par la curiosité, qui est le véritable moteur du progrès. Sans recherche fondamentale, les développements technologiques s’arrêteraient tôt ou tard. On s’imagine que l’antimatière est un concept totalement abstrait, mais c’est grâce à l’antimatière que peut exister la tomographie par émission de positons utilisée en médecine. En tant que laboratoire scientifique mondial, nous sommes l’un des principaux acteurs du progrès des connaissances humaines; une partie de notre mission consiste à apprendre à faire passer le message à la société.»

Le parcours de Sergio Bertolucci

Issu de l’Université de Pise, Sergio Bertolucci a travaillé à DESY, au Laboratoire Fermi et à Frascati. Il faisait partie du groupe fondateur de l’expérience CDF du Laboratoire Fermi et a participé à la conception, la construction et l’exploitation du détecteur CDF.

Sergio Bertolucci a été coordinateur technique de l’équipe chargée de la conception et de la construction du détecteur KLOE à l’anneau de stockage DAFNE aux laboratoires Frascati (LNF). Nommé chef de la division des accélérateurs et du projet DAFNE au LNL, il en est devenu directeur en 2002.

Avant de prendre en charge la direction de la recherche au CERN, Sergio Bertolucci présidait le Comité des expériences LHC et était membre du comité de la recherche en physique à DESY. Il était également membre et vice-président du Comité de l’Institut national italien de physique nucléaire (INFN).