Au Japon, les neutrinos pourraient ouvrir la voie à une nouvelle physique

Pour mon message de cette semaine, je n’ai que l’embarras du choix. Tout d’abord, il faut saluer le communiqué de presse de l’expérience japonaise Tokai to Kamioka (T2K) du 15 juin, qui non seulement annonce une physique très intéressante, mais nous montre également que la communauté des physiciens japonais se remet du tremblement de terre et du tsunami. Ici, au CERN, le LHC continue à fonctionner parfaitement...

 

Atteindre, si tôt dans l'année, une luminosité intégrée de 1 fb-1 est un exploit remarquable, de bon augure pour les conférences d'été. Nous avons à présent atteint le point où une seule injection de particules dans le LHC fournit autant de données que toute la campagne d’exploitation 2010. Enfin, lors de la réunion du Conseil de cette semaine, j’ai eu le plaisir d’annoncer que le CERN a reçu les confirmations formelles de tous les États ayant présenté des demandes d’adhésion, ce qui ouvre la voie à l’arrivée de nouveaux États membres très bientôt. Deux semaines riches en événements donc, mais je voudrais maintenant revenir sur les nouveaux résultats annoncés au Japon. 

Pour dire les choses simplement, les résultats de T2K sont la première indication de l'apparition de neutrinos de l'électron dans un faisceau de neutrinos du muon - une nouvelle preuve que ces particules insaisissables peuvent, telles des caméléons, prendre différentes formes. Ce phénomène, appelé oscillation du neutrino, n’est pas une découverte. Ses effets ont été observés pour la première fois dans les années 1970 par une expérience pionnière installée dans la mine d'or de Homestake, aux États-Unis, qui étudiait des neutrinos venant du Soleil. L’oscillation du neutrino a ensuite été observée directement, au début des années 2000, par des expériences situées au Canada et au Japon. Depuis lors, de nombreuses mesures ont été faites, y compris celles effectuées au laboratoire du Gran Sasso au moyen d’un faisceau de neutrinos en provenance du CERN. Les résultats du Gran Sasso semblent indiquer l’apparition de neutrinos du tau dans un faisceau de neutrinos du muon.

Dans ce cas, pourquoi les résultats de T2K sont-ils si importants ? Tout d’abord, bien qu’ils soient presque dépourvus de masse, les neutrinos sont un composant particulièrement abondant de notre Univers. À lui seul, ce fait rend leur étude approfondie très importante. Pour comprendre la famille de particules que représentent les neutrinos, il faut étudier en détail chaque type d’oscillation ; et différentes installations en Asie, en Europe et en Amérique du Nord coordonnent leurs efforts en ce sens.

Ce qui rend l’apparition de neutrinos de l'électron dans un faisceau de neutrinos du muon particulièrement significative, cependant, c'est qu'une connaissance précise de ce processus particulier est un préalable essentiel à la conception d’expériences qui utiliseraient les neutrinos pour explorer le déséquilibre entre matière et antimatière. Du point de vue de la physique, c’est un résultat passionnant, et j’attends avec impatience les nouvelles qui viendront de T2K une fois le faisceau rétabli, lorsqu’on pourra accumuler à nouveau les données. Le plus important, toutefois - et nous nous en réjouissons - c’est que cette annonce est le signe d’un retour à la normale au Japon.

 

 

 Rolf Heuer