John Ellis nous parle du Higgs, de l’absence de Higgs, et des dimensions supplémentaires

Le 13 septembre, le CERN accueillera un colloque à l’occasion du 65e anniversaire de John Ellis. Ce colloque marque la fin de la longue carrière de John Ellis au CERN, où il a été une figure éminente; John Ellis va désormais occuper la chaire Clerk Maxwell de physique théorique au King’s College de Londres. Le Bulletin saisit cette occasion pour demander à John de nous faire part de ses attentes concernant le LHC pendant cette phase de prise de données si attendue…

 

John Ellis photographié dans son bureau (juillet 2011).

Bon, commençons par le boson de Higgs, est-ce qu’il existe, et où se trouve-t-il ? La question à un million de dollars…

Dans les prochains mois, je pense que nous aurons une réponse claire concernant le boson de Higgs. Le Higgs, en tant qu’hypothèse, nous accompagne depuis 1964 ; je pense que finalement nous allons réussir à le coincer. Quelles que soient les découvertes faites, la réponse concernant l’existence du boson de Higgs nous amènera à une nouvelle physique. Pourquoi ?

Parce que les expériences ont montré qu’il n’y a que trois gammes de masse possibles pour le Higgs – ou une particule de type Higgs : entre 114 GeV et 135 GeV, au-dessus de 500 GeV, ou entre 135 GeV et 500 GeV.

Dans le premier scénario, 114 à 135 GeV, nous aurions un boson de Higgs du Modèle standard. Cette gamme a été précisée expérimentalement : les récents résultats du LHC présentés à Mumbai excluent le Higgs du Modèle standard entre 135 GeV et environ 500 GeV, alors que le LEP l’avait déjà exclu jusqu’à 114 GeV. Cela nous laisse, pour l’hypothèse d’une masse faible, un intervalle étroit, d’environ 20 GeV, où il pourrait se trouver. Toutefois, si le Higgs se trouve dans cet intervalle, la théorie du Modèle standard reste incomplète ; le vide électrofaible tel que nous le comprenons actuellement serait instable pour un Higgs aussi léger dans le Modèle standard, et donc nous devrions produire une nouvelle physique pour le stabiliser.

La deuxième possibilité est que le boson de Higgs soit plus lourd que 500 GeV, auquel cas ce pourrait être, là encore, un Higgs du Modèle standard. Le problème, c’est que les couplages associés à la théorie le définissant seraient si forts que nous ne pourrions le calculer de façon fiable. Dans ce cas, je pense que nous aurions besoin d’une nouvelle physique afin de « domestiquer » ce Higgs lourd.

La troisième possibilité est que le boson de Higgs se trouve quelque part entre 135 GeV et 500 GeV. Dans ce cas, les couplages ne pourraient être ceux du Higgs du Modèle standard – ils devraient être plus faibles. Et avec des couplages plus faibles, ce Higgs ne pourrait pas jouer le même rôle que le Higgs du Modèle standard, et, là encore, nous aurions besoin d'une façon ou d’une autre d’une nouvelle physique.

Je pense qu’il y a de fortes chances pour que dans les prochains mois, et au plus tard dans une année, nous sachions laquelle de ces possibilités est la bonne. Bien sûr, il existe encore une quatrième possibilité : qu’il n’y ait pas de Higgs du tout !

Et si le LHC ne trouve rien du tout ?

Eh bien, cela pourrait vouloir dire qu’il n’y a rien qui ressemble à un boson de Higgs du Modèle standard, ou alors que cette particule est tellement lourde qu’elle se comporte d'une façon que nous ne pouvons pas calculer (pour le moment, bien sûr!). J’ai toujours dit que le résultat le plus intéressant pour les théoriciens serait qu’il n’y ait aucun boson de Higgs d’aucune sorte. Cela nous obligerait à abandonner toutes les idées qui ont inspirent nos théories depuis 47 ans.

Et s’il n’y a pas de Higgs, que peut-on trouver d’autre ?

On a déjà quelques idées pour avancer dans l’éventualité où il n’y aurait pas de boson de Higgs. L’une des plus séduisantes, pour moi, est la théorie des dimensions supplémentaires. On explique souvent le rôle du boson de Higgs en disant qu’il donne une masse aux particules. Une autre façon de voir les choses est de dire qu’il doit donner une masse à certaines particules et pas à d’autres ; autrement dit, il doit opérer une différenciation entre divers types de particules. Dans la langue d’un physicien des particules, on dit qu'il doit briser la symétrie entre, disons, un boson W, d'une part, et un photon, d'autre part.

Comment brise-t-on cette symétrie ? Nous pouvons essayer d’écrire des équations non symétriques - où il n'y aurait aucune symétrie à briser. Mais cela nous donnerait une théorie qui serait, littéralement, incalculable. La seule possibilité qui nous reste est d’écrire des équations symétriques qui, d’une façon ou d’une autre, donnent des résultats différents pour des particules différentes.

Mais comment fait-on pour avoir des équations symétriques admettant ces solutions asymétriques ? Une réponse possible consiste à placer le champ de Higgs dans le vide, ce que nous imaginons naïvement comme un espace où il n'y a rien. Le champ de Higgs opère une brisure de symétrie, en différenciant entre divers types de particules selon la façon plus ou moins forte dont ces particules interagissent avec lui. C’est l’option choisie dans le Modèle standard.

Mais il y a un autre moyen, potentiellement, de briser la symétrie : utiliser les conditions aux limites. Quand on résout une équation différentielle, la solution dépend des conditions aux limites imposées sur le calcul au bord de l’espace. Dans l’univers tridimensionnel que nous voyons autour de nous, l’espace semble s’étendre à l’infini, si bien qu’il n’existe pas de bord pour lesquels différentes conditions aux limites pourraient être imposées pour différents types de particules. Mais si l’espace présente de petites dimensions supplémentaires, à leurs bords nous pouvons imposer différentes conditions aux limites pour différents types de particules, ce qui nous donnerait différentes masses pour différentes particules. Je pense que ce serait le plus passionnant : découvrir qu’il n’y a pas de Higgs, mais qu’il existe des dimensions supplémentaires de l’espace.

Comment pourra-t-on confirmer ou infirmer toutes ces possibilités ?

En principe, il y a plusieurs façons de chercher à confirmer une théorie : on peut rechercher des déviations par rapports aux prédictions du Modèle standard dans la diffusion des particules W, par exemple. Plusieurs options expérimentales peuvent être envisagées s’il s’avère qu’il n’y a pas de Higgs. Dans cette hypothèse, le plus intéressant sera d’explorer des énergies encore plus élevées. Pour étudier la diffusion des particules W par exemple, on pourrait accroître l’énergie dans le LHC, ou construire un collisionneur électron-positon de très haute énergie, comme le CLIC, qui est actuellement au stade de projet.

 

 La deuxième partie de cet entretien avec John Ellis, où il est question de l’avenir du CERN et de la physique des particules, sera publiée dans le numéro du Bulletin du 23 septembre 2011.

par Katarina Anthony