La masse fondamentale (rien à voir avec le Higgs !)

Nous nous apprêtons non seulement à éclaircir la question fondamentale de l’apparition de la masse après le Big bang, mais nous nous acheminons aussi vers la résolution d’un autre problème essentiel lié à la masse. Le kilogramme est la seule unité fondamentale du système international d’unités (SI) définie officiellement à l’aide d’un prototype matériel de fabrication humaine (un artéfact), plutôt qu’au moyen de grandeurs invariantes de la nature. Si vous estimez que la question vous concerne moins que le prestigieux boson de Higgs, détrompez-vous ! Que diriez-vous si votre balance vous indiquait une valeur différente lorsque vous vous pèserez demain ?

 

La balance de watt construite par METAS pour effectuer les précédentes mesures de la constante de Planck. Une nouvelle balance est actuellement en développement. (Image : METAS).

Le prototype international du kilogramme est un cylindre en alliage platine-iridium de 39 mm de hauteur et de 39 mm de diamètre. Il a été usiné en 1878 et se trouve au Bureau international des poids et mesures (BIPM), à Sèvres, près de Paris. À ce jour, alors que toutes les autres unités du système SI ont été redéfinies pour être rattachées à des constantes fondamentales ou à des propriétés atomiques, le kilogramme reste défini par ce bloc de matière.

Un bloc de matière qui doit être nettoyé par des personnes – ou du moins une personne – au risque que des atomes, et donc des fractions de masse, puissent se perdre dans le processus. « Au fil des ans, plusieurs copies ont été produites et déposées dans divers bureaux de métrologie nationaux, explique Ali Eichenberger, physicien à l’Office fédéral suisse de métrologie (METAS). Bien qu’il ne soit pas encore possible de définir la masse du kilogramme de manière absolue, la technologie moderne permet de comparer des masses avec une très haute précision, pouvant atteindre le microgramme. Un examen des divers prototypes nationaux a fait apparaître que leurs masses varient de manière sensible. » De plus, le manque de précision de la définition actuelle du kilogramme a une incidence sur d’autres unités, notamment l’ampère.

Un projet de métrologie lancé par le METAS et auquel le CERN participe devrait permettre de régler le problème. L’idée est de construire une balance de watt ultra-précise – un instrument qui compare les puissances mécanique et électrique (voir l’encadré). Grâce à la balance de watt et à ses équations, il est possible de relier l’unité de masse au mètre, à la seconde et à la constante de Planck, bref, à toutes les unités et constantes fondamentales.

« Un élément essentiel de la balance de watt est le circuit magnétique, qui doit être extrêmement stable au cours de la mesure, explique Davide Tommasini, un spécialiste des aimants travaillant dans le groupe Aimants et supraconducteurs au sein du département Technologie du CERN, qui participe directement au projet de balance de watt du METAS. En utilisant un ‘shunt magnétique’ bien dimensionné avec une faible température de Curie, il est possible de réduire radicalement les effets de variation de température. Le circuit doit également fournir un champ magnétique très homogène dans l’ensemble du volume où intervient la mesure. » Le circuit magnétique sera assemblé au CERN. « L’aimant permanent et le cylindre de shuntage devraient bientôt arriver. Nous nous emploierons ensuite à tester les performances du circuit », ajoute Davide Tommasini.

 
En un siècle, des variations de masse significatives ont été enregistrées entre les copies officielles du kilogramme. (Image : METAS).
 

« Les exigences associées aux aimants sont extrêmement strictes et nous sommes très heureux que le CERN ait accepté de participer au projet dans le cadre de ses activités de transfert de connaissances, souligne Henri Baumann, un physicien du METAS qui a lancé le projet avec Ali Eichenberger. Cette mesure permettra aussi d’améliorer sensiblement la détermination de la constante de Planck. Les théoriciens du CERN s’en féliciteront certainement ! »

« Ce projet témoigne de la portée qu’ont les compétences et les connaissances spécialisées nécessaires en physique des particules sur des programmes de recherche d’autres disciplines et sur la société dans son ensemble », explique Hartmut Hillemanns, du groupe KT, qui mène à bien le volet cernois du projet avec l’équipe scientifique du CERN et interagit avec les autres partenaires.

La nouvelle définition de l’unité de masse devrait être donnée d’ici quelques années. Peut-être aurons-nous alors compris comment la masse se crée au niveau le plus fondamental… Oui, cette fois, nous parlons bien du Higgs !

Le principe de la balance de watt

La balance de watt est un instrument électromécanique qui mesure de manière très précise le poids d’une masse étalon. Dans la balance de watt, une bobine est suspendue à un bras, puis placée dans un flux magnétique horizontal. Au cours d’une première phase de mesures, le courant circulant dans la bobine exerce une force verticale sur le conducteur, qui est ajustée pour contrebalancer le poids de la masse étalon. Au cours de la deuxième phase, on déplace la bobine à vitesse constante dans le champ magnétique et on mesure la tension induite aux bornes de la bobine. En combinant les équations et en procédant à divers calculs, on arrive à l’équation :


où C est une constante d’étalonnage, fj et f'’j sont les fréquences de Josephson utilisées pendant les phases statique et dynamique et h est la constante de Planck. L’expérience de la balance de watt permet donc de rattacher l’unité de la masse au mètre, à la seconde et à la constante de Planck.

Plusieurs balances de watt sont utilisées par des bureaux de métrologie de par le monde.

 

Une autre manière de résoudre le problème

L’autre grand projet de redéfinition du kilogramme, le projet Avogadro, applique la cristallographie aux rayons X pour mesurer avec exactitude la densité d’une sphère de silicium cristallin d’une grande pureté.

 

par Antonella Del Rosso