William J. Willis (1932-2012)

C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès de notre collègue de longue date, Bill Willis, survenu le 1er novembre dernier, après une brève maladie.

 

Acteur du monde de la physique jusqu’à ses derniers jours, Bill a mené une carrière de plus de 50 ans à la pointe de la physique des particules.

Après un début de carrière aux États-Unis, où il étudie les interactions faibles à l’aide de chambres à bulles, Bill rejoint le CERN en 1973, accueilli par Jack Steinberger, le présentant comme « le physicien le plus brillant [qu’il ait] jamais rencontré ».

Séduit par le potentiel d’expérimentation des anneaux de stockage à intersections (ISR) du CERN, Bill présente un concept de détecteur novateur : une installation de 4π capable de détecter des particules neutres et chargées, qu’il appelle un « impactomètre ». La capacité de ce dispositif à mesurer « l’énergie manquante » et l’intérêt de la détection directe des leptons étaient des concepts visionnaires, au potentiel d’expérimentation immense. Le concept de l’impactomètre a été utilisé pour la première fois dans le spectromètre à champ axial des ISR, qui détectait les jets à pT élevé dans les collisions de hadrons, en même temps que les expériences UA1 et UA2. Cette approche, considérée à l’époque comme aventureuse pour les collisionneurs de hadrons, est aujourd’hui la norme pour un détecteur classique. Plus tard, il s’intéresse à la matière nucléaire dans des conditions de température et de densité extrêmes : il convainc d’ailleurs la Direction du CERN d’adapter le SPS pour accélérer des ions lourds, notamment les ions de plomb, ce qui donne naissance à un nouveau domaine, exploré par le Collisionneur d'ions lourds relativistes (RHIC) et, aujourd’hui, par le Grand collisionneur de hadrons (LHC).

En 1990, Bill repart pour les États-Unis, où il obtient un poste de professeur à l’Université Columbia. En 1993, il fait partie de la première délégation des États-Unis venue au CERN dans le but d’examiner la possibilité d’une participation américaine aux expériences LHC. Certaines idées inspirées de concepts antérieurs ont été mises en avant par Bill et reprises par ATLAS. Bill travaille à la construction d’ATLAS comme chef de projet pour les États-Unis jusqu’en 2005. Il est également membre du Comité de direction d’ATLAS pendant quatre ans.

Plus récemment, il a pris part à l’expérience MicroBooNE, lui permettant de conjuguer son talent pour l’élaboration de méthodes ingénieuses et son intérêt pour les détecteurs novateurs dans le domaine de la physique des neutrinos.

On peut comparer Bill à un savant de la Renaissance, intéressé par une diversité remarquable de sujets de recherche. Il connaissait la physique des accélérateurs à un niveau très poussé ; en témoigne le système d’accélérateur avant-gardiste de type plasma, qu’il met au point au début des années 70.  Il est bien entendu connu pour avoir développé plusieurs concepts novateurs appliqués aux détecteurs, comme la calorimétrie à argon liquide ou les détecteurs à rayonnement de transition, qui ont ensuite été adoptés par de nombreuses expériences, dont ATLAS. En 2003, en reconnaissance de ses nombreuses contributions, la Société américaine de physique lui décerne le prix Panofsky.

La valeur du travail que Bill a accompli au CERN et aux États-Unis a été largement reconnue. Il a su nouer des liens étroits avec plusieurs physiciens russes qui sont devenus des collaborateurs et des amis. Il a su comprendre, bien avant bon nombre d’entre nous, l’intérêt de donner une dimension internationale à notre discipline, et nous a montré que nous pouvions être en compétition tout en étant amis et en collaborant.

Bill n’a jamais cessé de transmettre ses connaissances et son expérience avec l’élégance propre aux grands savants ; il était profondément respecté et admiré, et va cruellement nous manquer.

Ses amis et collègues du CERN