Des faisceaux pour accélérer... des faisceaux

Imaginez un accélérateur libéré des contraintes de longueur. Imaginez un accélérateur qui pourrait porter un faisceau de particules à une énergie de l’ordre du TeV en seulement quelques centaines de mètres. Dans le cadre de l’expérience AWAKE (accélération par champ de sillage plasma entraînée par des protons) du CERN, des physiciens vont peut-être bientôt travailler à la réalisation de ce rêve.

 

L'expérience AWAKE au sein de l'installation CNGS.

Tous les accélérateurs linéaires modernes comportent une longue série de cavités accélératrices radiofréquence. Les cavités RF, conçues à partir d’une technologie développée il y a plus d’un demi-siècle, sont omniprésentes dans le monde des accélérateurs depuis le début. Mais de nouvelles réalisations dans les systèmes d’accélérateurs plasma pourraient bientôt changer la donne. En mettant à profit la puissance des champs de sillage générés par des faisceaux injectés dans des chambres à plasma, on pourrait obtenir un gradient d’accélération de plusieurs GV/m, des centaines de fois supérieures aux gradients atteints par les cavités RF actuelles.

« L’accélération par champ de sillage plasma a déjà été démontrée par d’autres laboratoires, où des systèmes d’accélération d’électrons ont généré un gradient de 50 GV/m, explique Edda Gschwendtner, responsable du projet AWAKE du CERN. L’objectif d’AWAKE est de parvenir à des gradients très élevés grâce à un système d’accélération de protons par un champ de sillage plasma. Cette expérience peut uniquement être réalisée au CERN, puisqu’elle requiert l’utilisation des faisceaux de protons de haute énergie qui y sont produits. »

Intégration des composants expérimentaux de AWAKE dans la zone expérimentale.

La physique du projet AWAKE est expliquée dans son rapport de conception récemment publié : lorsqu’un faisceau de protons (appelé « faisceau d’entraînement ») est injecté dans un plasma, il attire vers lui des électrons libres du plasma. Ces électrons libres vont « manquer » le faisceau de protons, mais seront à nouveau attirés dans le plasma par les ions libres qui s’y trouvent. Ces électrons en oscillation créent une sorte de cavité RF « naturelle » : un champ électrique d’accélération au sein du plasma qu’un autre faisceau va traverser pour être accéléré.

Si le projet AWAKE est approuvé, l’expérience utilisera des faisceaux de 400 GeV issus du SPS pour alimenter son faisceau d’entraînement. « Nous avons mené des études approfondies pour trouver le meilleur emplacement pour accueillir l’expérience AWAKE. Dans le rapport de conception récemment publié, nous proposons de réutiliser les installations de CNGS, précise Edda Gschwendtner. Nous allons extraire du SPS des paquets de protons de 400 GeV, du type de ceux utilisés pour le LHC, et envoyer le faisceau dans une chambre à plasma. Une impulsion laser, configurée pour coïncider avec le paquet de protons, viendra ioniser le gaz (neutre à l’origine) présent dans la chambre à plasma, ce qui aura pour effet, d’une part de former un plasma, et d’autre part d’amorcer l’automodulation du paquet de protons (cf. encadré). Un faisceau d’électrons servira de faisceau principal et sera accéléré dans le sillage des paquets de protons. Plusieurs outils de diagnostic devront être installés dans la zone d’expérimentation afin de mesurer les effets d’automodulation du paquet de protons. Un spectromètre magnétique perfectionné devra être installé en aval du plasma pour mesurer les propriétés du paquet d’électrons. »

Même si l’on sait que cette technologie a un grand potentiel, il reste toutefois beaucoup à découvrir dans ce domaine. Ce type d’accélération n’a pour le moment jamais été réalisé avec des protons (AWAKE le ferait pour la première fois), et les effets de l’automodulation du faisceau sur la création du gradient d’accélération n’ont pas encore été mesurés. « Il est important de rappeler que AWAKE sera une expérience de R&D et de démonstration de principe pour les accélérateurs, conclut Edda Gschwendtner. Notre objectif est avant tout de vérifier ce nouveau concept avant d’envisager son application dans des projets d’accélérateurs. »
 

Automodulation des faisceaux de protons

La création d’un champ électrique élevé dans un système d’accélération à champ de sillage plasma requiert des faisceaux de protons très courts (d’une longueur de l’ordre du millimètre) et très denses. Or le SPS génère des faisceaux avec des paquets d’une longueur supérieure à 10 cm. C’est pourquoi AWAKE devra tirer parti des effets d’« automodulation ».

Le phénomène d’automodulation apparaît lorsqu’un long paquet de particules entre dans un plasma. Au lieu de traverser le plasma en restant regroupé, il se transforme en plusieurs petits paquets, dont l’espacement correspond à la longueur d’onde du plasma. Ce phénomène permet à AWAKE d’obtenir les courts paquets de particules utiles à la création du gradient d’accélération. Toutefois, comme il s’agit d’un phénomène naturel, il est nécessaire de bien le maîtriser. L’expérience AWAKE utilisera une impulsion laser pour amorcer le phénomène d’automodulation dans le faisceau de protons, afin que le faisceau accéléré se trouve parfaitement en phase avec le champ électrique d’accélération dans le plasma.

 

par Katarina Anthony