Sous toutes les coutures

Depuis bientôt 60 ans, les géomètres du CERN arpentent les tunnels et cavernes du Laboratoire pour positionner les aimants et détecteurs et en révéler les formes, les dimensions et autres aspérités. Désormais munis d’un laser-scanner tridimensionnel de dernière génération, plus rien ne leur échappe.

 

Campagne de mesures au laser-scanner dans le hall d'ISOLDE.

Il y a une quinzaine d’années, l’arrivée dans le monde de la topographie du laser-scanner tridimensionnel, un nouvel appareil de numérisation capable de reconstituer divers objets en images de synthèse 3D, a ouvert la porte à un éventail de possibilités. Utilisé au CERN dès 2004, ce nouvel outil a permis d’obtenir des images numériques des tunnels et des expériences du LHC de plus en plus fines.

Aujourd’hui, le laser-scanner dont disposent les géomètres du CERN est un outil irremplaçable dans bon nombre de cas. Très performant, il est capable de prendre une mesure tous les 2 millimètres depuis une distance de 10 mètres (et donc, tous les 4 mm depuis une distance de 20 mètres, ou tous les millimètres depuis une distance de 5 mètres), et ce, avec une précision de 3 millimètres… et à une vitesse d’un million de points par seconde ! « Son fonctionnement repose sur la mesure de déphasage entre l’onde électromagnétique émise par le laser et celle reçue en retour, explique Tobias Dobers, ingénieur technique au sein de la section SU du groupe ABP. Cette méthode permet à l’appareil d’atteindre une très grande précision de mesure. » Commandé à distance, le laser-scanner peut tourner sur lui-même à 360° horizontalement, et jusqu’à 310° verticalement (il lui est en effet impossible de voir ses propres pieds…). Cette grande latitude de balayage permet de mesurer des objets complexes et imposants – tels qu’un détecteur – en quelques minutes.

Au CERN, où les besoins sont souvent très spécifiques, le laser-scanner tridimensionnel a trois principales missions : réaliser des relevés 3D dans les tunnels des accélérateurs pour les équipes chargées d’y intégrer de nouveaux équipements, notamment dans le cadre du projet R2E (Radiation to Electronics) ; scanner les détecteurs des expériences du LHC pour connaître avec précision, par exemple, l’implantation des câbles, l’imbrication de divers éléments, ou encore les espaces disponibles ; et enfin, contrôler la conformité d’un bâtiment après sa livraison par le génie civil.

Nuage de points tridimensionnel de l'expérience CMS obtenu par laser-scanner. Les couleurs dépendent de la texture (couleur, brillance…) des objets mesurés. Le noir ou les surfaces réfléchissantes sont par exemple plus délicates à gérer par le laser et apparaissent en rouge sur l'image. Les surfaces neutres apparaissent quant à elles en bleu-vert.

Si cet outil a permis de gagner un temps précieux sur le terrain, le travail des géomètres ne s’arrête pas là pour autant. « À raison d’un million de points par seconde, je vous laisse imaginer la taille des fichiers que nous récupérons après une campagne de mesures, souligne Aurélie Maurisset, géomètre pour l’expérience CMS. En post-traitement, il nous faut donc nettoyer les fichiers pour les rendre ‘digérables’ par l’ordinateur. » Et cela passe par plusieurs étapes : d’abord, un nettoyage manuel des points manifestement aberrants. Puis les données sont passées à travers plusieurs filtres, jusqu’à obtenir un jeu de données propre et pertinent. « Vient ensuite l’étape du maillage, poursuit Tobias. Cette opération permet de passer d’un nuage de points isolés à une surface cohérente. C’est également à ce moment-là que nous assemblons les différentes pièces de notre puzzle. » Car pour reconstituer un objet 3D, plusieurs relevés sont bien sûr nécessaires. Les géomètres doivent donc déplacer le laser-scanner autour de leur cible, afin d’en scanner toutes les parties, puis, à l’instar d’un panorama, assembler leurs différents relevés. 

Dernière étape du processus, l’intégration du nouvel objet numérique dans le système de coordonnées du CERN. Ce géo-référencement permet à toutes les équipes du CERN de travailler dans le même référentiel. « Ainsi, nous pouvons comparer rigoureusement nos résultats, souligne Aurélie. Cela met d’ailleurs parfois en évidence des imprécisions dans les modèles… imprécisions que les spécialistes s’empressent bien sûr de corriger. »

par Anaïs Schaeffer