LA CAISSE DE PENSIONS DU CERN : UN DÉFI CONTINUEL

 

Introduction


Compte tenu de son statut d’Organisation internationale, le CERN (et ses employés) n’est pas sous la juridiction des lois et règlements du travail et de protection sociale des États-hôtes ni des États-membres. Le CERN doit donc avoir son propre système de protection sociale, assurant également le versement des pensions, pour fournir une couverture adéquate et suffisante à son personnel.
Ce système doit aussi permettre de recruter dans les États-membres un personnel hautement qualifié et rendre attractif son maintien en place, mais nous devons constater que certains États-membres veulent reconsidérer les obligations de l’Organisation en ce qui concerne la Caisse de pensions.
Ceci est donc le premier d’une série d’articles visant à expliquer que cette remise en cause pourrait créer une importante injustice sociale au détriment de l’Organisation elle-même et de son personnel et qu’elle va à l’encontre de la réglementation internationale.


Principes et responsabilités


La Caisse de pensions du CERN (ci-après dénommée la Caisse) a été mise en place par décision du Conseil du CERN en décembre 1955. Sa base légale repose sur la Convention pour l’établissement du CERN et les accords de protection sociale signés avec les États-hôtes. La Caisse est une caisse à capitalisation et à primauté de prestations, pour laquelle l’Organisation garantit les droits acquis de son personnel jusqu’à la cessation des droits du dernier bénéficiaire.


Gouvernance et responsabilités


Par diverses déclarations successives le Conseil du CERN a reconfirmé sa directe responsabilité sur la Caisse ainsi que son rôle d’autorité de supervision prédominante et de garant des prestations. Récemment, en juin 2007, soulignant l’autonomie opérationnelle de la Caisse au sein du CERN, le Conseil a redéfini la structure et les principes de gouvernance de la Caisse (Fig.1).

Fig.1 : Structure de gouvernance de la Caisse


La gestion de la Caisse est confiée au Conseil d’administration de la Caisse (CACP ou PFGB) et à l’Administrateur de la Caisse (CEO), assistés du Comité d’investissement (PFIC) et du Comité actuariel et technique (ATC).
D’une part le CACP couvre la totale gestion de la Caisse et, en particulier, supervise l’Administrateur et prend les décisions qui s’imposent au vu des propositions et mesures soumises par l’ATC ou le PFIC.
D’autre part, le CACP avise le Conseil de tous sujets concernant les finances de la Caisse et, en particulier, il l’informe de la situation financière sur la base des études actuarielles périodiques, propose toutes mesures dans le but de sécuriser, restaurer ou préserver le taux de couverture actuarielle de la Caisse. Etant entendu que les propositions concernant les prestations et les contributions doivent rester dans le champ de compétence du Directeur général du CERN.
Un des rôles majeurs de l’ATC est d’évaluer le taux de couverture de la Caisse et de recommander au CACP toutes mesures permettant d’atteindre sa pleine capitalisation. En particulier, il lui revient de recommander au CACP les paramètres actuariels à prendre en compte dans l’étude actuarielle périodique, mandaté par le CACP sur proposition de l’ATC à un actuaire indépendant. L’ATC suit de près l’exécution du mandat de l’actuaire et examine les études actuarielles provisoires avant de les envoyer au CACP pour approbation et avant toute discussion ultérieure au Conseil.


Définition des principes d’une politique de couverture saine


En mars 2008 le Conseil a mis en place un groupe de travail (WG2) dans le but d’analyser les mesures nécessaires pour atteindre un taux de couverture à 100% de la Caisse. Le rapport de ce groupe (CERN/2897) concluait qu’une stratégie d’investissements seule ne serait pas suffisante pour atteindre la pleine capitalisation de la Caisse, compte tenu de son important déficit proche de 2'000 MCHF. Imaginant impossible d’injecter une somme aussi importante, de suite, le WG2 a considéré un recouvrement sur une période de 30 ans avec le scénario suivant : (i) augmentation du taux de contribution des actifs de 30,88% à 34% (impact : + 15,5 MCHF/an) ; (ii) création d’un Fonds tampon employeur assurant un retour annuel de 5% (impact : +53,3 MCHF/an) ; (iii) introduction d’un système de rétrocession d’impôts correspondant à 12% des prestations dont le montant aurait été reversé à l’Organisation (impact : + 45,3 MCHF/an). L’application de ces mesures aurait pu permettre un recouvrement annuel moyen de 114,1 MCHF sur 30 ans.


Le train de mesures 2010


En se basant sur le rapport du WG2 et sur l’étude actuarielle 2010 (CERN/2948) le Conseil a décidé au cours de ses séances de décembre 2010 (CERN/2947), juin 2011 (CERN/2978) et mars 2011 (CERN/3010) de mettre en place un train de mesures visant à restaurer la pleine capitalisation de la Caisse. Les principaux paramètres de ces mesures sont :


- Contributions des membres actifs : augmentation de 30,88% à 34%.
- Pensions des bénéficiaires : gel de l’indexation jusqu’à atteindre une perte cumulée de pouvoir d’achat de 8%.
- Contribution spéciale des Organisations : (max. 30 ans ou jusqu’à atteinte de la couverture à 100%) : CERN : 60 MCHF/an et ESO : 1,3 MCHF/an.
- Conditions pour les nouveaux recrutés (voir table 1).

Table 1: Comparison of CERN Pension Fund conditions

 

De plus, en juin 2011, le Conseil a adopté une Résolution (CERN/2972, annexe 2) :
« Résolution du Conseil concernant la couverture à 100% de la Caisse », dans laquelle le Conseil approuve la distribution équitable et interdépendante des quatre composantes du train de mesures entre les partenaires. En particulier, la Résolution confirme dans son
« le train de mesures constitue une répartition équitable des efforts entre toutes les parties, à savoir, les membres du personnel, les pensionnés et les Organisations participantes, il n’est pas possible d’en modifier un élément sans modifier l’ensemble, étant entendu qu’il convient de maintenir dans tous les cas un modèle de répartition équitable. »
La table 2 donne une comparaison des conditions de pensions en 2010 au CERN avec celles des autres organisations internationales ; on peut y observer que les conditions de pensions au CERN (pour le personnel actif avant 2012 et encore davantage pour celui recruté en 2012 et après) sont parmi les plus défavorables.

Etude actuarielle 2013 : un tour pour rien


Durant le second semestre 2013, un nouvel actuaire, Buck Consultants, a établi la première étude actuarielle triennale, après la mise en place du train de mesures 2010. En septembre 2013, alors que l’Administrateur de la Caisse déclarait que les résultats de l’étude actuarielle triennale seraient examinés par le CACP au cours de ses réunions de septembre et novembre 2013, le Conseil décidait d’une présentation des résultats au Comité des Finances et au Conseil de décembre 2013.
Le CACP n’a pas été en mesure de vérifier ladite étude actuarielle avant fin 2013. Néanmoins l’actuaire a présenté son rapport aux instances officielles du CERN en décembre 2013, en violation des procédures de gouvernance de la Caisse en vigueur, lesquelles stipulent que le rapport de l’actuaire doit tout d’abord être approuvé par le CACP avant d’être envoyé au Conseil. De plus le modèle étudié par l’actuaire contenait des hypothèses totalement nouvelles et jamais évoquées au CACP.
En conséquence, le Président du CACP, Dr. T. Roth, dans une lettre d’accompagnement à cette version préliminaire de l’étude actuarielle 2013 (CERN/3088) suggérait de laisser un peu plus de temps au CACP pour examiner les nouvelles hypothèses introduites par l’actuaire et pour faire part de son opinion et analyse au cours des réunions des Comités de mars 2014 afin d’en tirer des conclusions pour d’éventuelles actions. En dépit de cette demande, certains membres du Conseil ont été alarmés par le taux de couverture 2041 excessivement pessimiste et non consolidé par le CACP présenté par l’actuaire.


Une lettre avec une série de questions


Après cette regrettable présentation de l’actuaire, qui n’aurait jamais dû avoir lieu si le Conseil avait suivi la chaîne des responsabilités qu’il a lui-même mise en place,  une délégation a envoyé en janvier 2014 une lettre intitulée : « Questions et considérations concernant l’avenir de la Caisse de pensions du CERN », à tous les membres du Comité des finances et du Conseil du CERN. Cette lettre contient 19 questions dont une large majorité traite des contributions, des prestations, ou encore des deux à la fois. Une telle initiative va totalement à l’encontre des règles et procédures en vigueur dans la gouvernance de la Caisse. C’est pourquoi une lettre conjointe de l’Association du personnel et du Groupement des Anciens du CERN et de l’ESO, signalant cette inobservation, a été envoyée à la Présidente du Conseil, Prof. A. Zalewska, pour l’inviter à rappeler aux délégations le respect des responsabilités des divers organes institués par le Conseil lui-même ainsi que les règles et les procédures les régissant. En particulier, aucune question traitant de la gestion de la Caisse ou en relation avec les conditions d’emploi ne doivent être soulevées.


Une proposition de résolution


Quelques jours avant les réunions de mars du Comité des finances et du Conseil nous avons découvert que cette même délégation avait proposé une résolution contenant une série de cinq recommandations concernant la Caisse du CERN. Une de ces recommandations vise à « réduire autant que possible la contribution spéciale des États-membres à la Caisse et à assurer la viabilité de la Caisse sans cette contribution d’ici 2019 au plus tard ». Cette recommandation est en totale contradiction avec la décision de 2010 du Conseil dans laquelle tous les partenaires participent à un train de mesures équilibrées et s’engagent au respect de la résolution de 2011 qui prévoit de « préserver le modèle de distribution équitable ».
Par ailleurs la proposition de résolution émanant de la délégation instigatrice demande une étude, par un expert indépendant, sur les obligations légales du CERN, prenant en compte « les changements intervenant dans les systèmes de pensions des États-membres » et également d’estimer si « l’évolution des situations économiques et démographiques dans les États-membres du CERN sont susceptibles d’entraîner une modification des obligations légales du CERN ». Cette question touche directement aux droits acquis des retraités, un point abordé dans le rapport du WG2 (CERN/2897) qui confirmait que la Caisse étant un système à primauté de prestations, les droits acquis des pensionnés en étaient renforcés et que, concernant le personnel actif, les paramètres essentiels, déterminant leur niveau de leur pension future, étaient garantis par le règlement de la Caisse.


Etude actuarielle 2013 : les mesures 2010 fonctionnent


Depuis début 2014, l’ATC a tenu plusieurs réunions avec l’actuaire afin de définir les paramètres actuariels à utiliser dans l’étude actuarielle 2013 final, lequel a été examiné et accepté lors de la réunion de mars 2014 du CACP. Ce rapport final a été présenté au Comité des finances et au Conseil (CERN/3103). Il démontre que les mesures 2010 agissent efficacement sur le taux de couverture et que ce dernier est sur une pente résolument positive (Fig. 2). Ce graphique montre les prédictions obtenues avec les hypothèses du modèle actuariel de 2010.

Fig. 2: Projected funding level

 

En ce qui concerne l’évolution du taux de couverture, considérons d’abord  le cas sans la mise en œuvre des mesures de 2010 (ligne rouge). La courbe a une pente négative et le taux de couverture tombe à 30,3% à l’horizon 2041. Après l’introduction du train de mesures de 2010 ce taux atteint 111,8% en 2041 (ligne verte), confirmant donc l’efficacité de ces mesures. En ajoutant dans le dernier modèle les tables de mortalité les plus récentes (VZ2010), qui prennent en compte l’augmentation de l’espérance de vie (ligne bleue), le taux, en 2041 atteindrait 95,5%. Ceci montre clairement la tendance positive due à l’adoption du train de mesures 2010. Notons que la précision dans ces projections est de l’ordre de 10%.
Malgré cette évolution positive de la situation, lors de la session restreinte du Conseil du 20 mars dernier, plusieurs délégations ont soutenu la résolution de la délégation instigatrice et elles ont demandé au Groupe du Président de proposer un nouveau texte de résolution, basé sur les points soulevés par ladite délégation. Cette nouvelle résolution  serait alors discutée lors de la session restreinte du Conseil le 19 juin prochain.


Réaction de l’Association du personnel


À la suite de cette dernière réunion du Conseil du CERN, le Conseil du personnel s’est réuni en session extraordinaire et a décidé de réagir immédiatement en adoptant une Résolution qui a été adressée aux délégations de tous les États-membres. Cette Résolution demande au Conseil du CERN de respecter l’engagement de l’Organisation de verser 60 MCHF/an pendant 30 ans — engagement pris lorsqu’a été approuvé le train de mesures décidées en 2010 — et de confirmer les compétences des organes de gouvernance et les droits des parties prenantes. L’Association du personnel, au cours de la réunion du TREF du 27 mars 2014, a lu une déclaration dans laquelle elle déplore le non-respect des responsabilités formelles du CACP et des Règles et Procédures concernant la Caisse, et en particulier, la remise en cause par le Conseil des engagements pris dans la Résolution de 2011.
Une réunion de crise pour tout le personnel s’est tenue le 2 avril 2014 à l’Amphithéâtre principal du CERN et a connu un grand succès. (Fig. 3). Cette réunion a attiré près de 400 participants, parmi lesquels plusieurs ont dû rester debout. Ils ont manifesté leur support aux positions défendues par les représentants du personnel dans les diverses comités. Ils ont apprécié l’engagement de l’Association du Personnel de les informer de l’évolution de la situation. Enfin, ils se sont dits prêts à participer à une action dans un futur proche, si nécessaire.

par Staff Association