Des cristaux pour canaliser les faisceaux de haute énergie dans le LHC

Il est possible d’utiliser des cristaux courbés pour infléchir la trajectoire de faisceaux de particules, comme l’avait proposé E. Tsyganov en 1976. Des démonstrations expérimentales de ce procédé sont menées depuis quarante ans dans différents laboratoires dans le monde. Lors d’essais récents, un cristal courbé inséré dans le halo du faisceau du LHC a permis de dévier des protons à 6,5 TeV vers un absorbeur, avec une irradiation secondaire réduite.

 

Cristal à quasi-mosaïque pour le LHC (développé par le PNPI).

La technologie des cristaux courbés a été introduite au CERN et adaptée pour le LHC par la collaboration UA9. Depuis environ dix ans, des experts du CERN, de l’INFN (Italie), de l’Imperial College (Royaume-Uni), du LAL (France) et du PNPI, de l‘IHEP et du JINR (Fédération de Russie) étudient les avantages d’utiliser des cristaux courbés dans les systèmes de collimation des collisionneurs de hadrons de haute énergie. Un cristal courbé, remplaçant le collimateur primaire, peut dévier le halo pour l’amener sur l’intérieur des collimateurs secondaires, améliorant ainsi leur efficacité d’absorption. « Les cristaux courbés que nous venons de tester à une énergie record au LHC ont été construits en Russie et en Italie ; ils ont ensuite été méticuleusement optimisés dans la ligne H8, dans la zone Nord du SPS, explique Walter Scandale, chef de la collaboration UA9. Ce succès a été rendu possible par l’appui que nous avons reçu de la Direction du secteur Accélérateurs et du groupe EN-STI, en étroite collaboration avec l'équipe Collimation du LHC. »

Cristal ruban pour le LHC (développé par l'INFN).

Un système de collimation à l’échelle, utilisant un cristal courbé comme déflecteur primaire, a été installé initialement dans le SPS pour évaluer l’efficacité de la technologie et fournir une estimation quantitative de l’insuffisance de collimation avec les faisceaux de protons et d’ions Pb. Des goniomètres haute résolution construits à l’IHEP ont été installés dans le tube à vide du SPS, pour permettre l’orientation des plans du cristal. Les taux de pertes étaient mesurés au moyen de détecteurs, construits par l’INFN-Roma1 et utilisant le rayonnement de scintillation, qui ont été installés autour du tube de faisceau. Des détecteurs de rayonnement Tchérenkov construits par le PNPI, le LAL, le CERN et l’INFN-Roma1 ont été insérés dans le tube à vide pour intercepter les faisceaux déviés en même temps que les détecteurs Medipix insérés à l’intérieur des pots romains. Des goniomètres d’une précision allant au-delà du microradian, requis pour le LHC, ont été développés en coopération avec le groupe EN/STI et des partenaires industriels en Italie, en Suisse et en Allemagne. « Des essais avec des faisceaux stockés – c’est-à-dire des faisceaux stables conservés à haute énergie – ont démontré la faisabilité de la collimation assistée par cristal et une réduction d’un ordre de grandeur des rayonnements, susceptibles de créer de graves dommages, créés par les interactions inélastiques dans le collimateur primaire, explique Walter Scandale. Après de nombreuses années de travail intensif et des résultats importants, UA9 a prouvé que la technologie des cristaux courbés était suffisamment maîtrisée pour qu’on puisse envisager de l’appliquer à une collimation de grande efficacité au LHC. »

Goniomètre pour le LHC, monté sur une base rotative piézoélectrique.

Pour l’essai mené récemment au LHC, deux prototypes de goniomètres de haute précision, équipés de deux cristaux de silicium, ont été installés dans la zone d’insertion IR7, dite de « nettoyage bêtatron », du LHC, dans laquelle le faisceau est « nettoyé » par des éléments matériels qui absorbent une partie du halo primaire ainsi qu'une partie du rayonnement secondaire. « Lors de l’atelier LHC tenu en 1990 à Aix-la-Chapelle, Giuseppe Fidecaro m’avait demandé si on pouvait utiliser des cristaux courbés pour extraire le halo du faisceau dans le LHC, rapporte Walter Scandale. Ma première réaction à l’époque était que cette idée relevait du rêve, ce n’était même pas envisageable. Vingt-cinq ans plus tard, nous ne sommes pas loin de la réaliser s’agissant de la collimation assistée par cristaux, et l’extraction assistée par cristaux pourrait bien être la prochaine avancée dans les manipulations de faisceau du LHC. »

Ces essais initiaux, avec une intensité de faisceau réduite, ont donné d'excellents résultats. Des essais à plus haute intensité sont en cours de préparation ; ils permettront de déterminer si des cristaux courbés pourraient aider à améliorer la collimation du LHC en tant qu'étape supplémentaire vers l'amélioration de la collimation dans le projet LHC haute luminosité.

par CERN Bulletin