Jean Gervaise 1921 -2007

Jean Gervaise, pionnier de la métrologie au CERN, est décédé le 10 avril dernier. Ce géodésien français a fondé et développé le groupe de métrologie du CERN, poussant sans cesse à l'innovation pour répondre aux demandes d'alignement toujours plus exigeantes des accélérateurs et des détecteurs. Sous sa direction, la métrologie du CERN a acquis une réputation internationale.

Jean Gervaise mesurant au fil d'invar et au théodolite sur un pilier du PS.

En dépit des perturbations de la guerre, Jean Gervaise a pu intégrer une formation d'ingénieur à l'Ecole nationale des Sciences géographiques (Paris), s'ouvrant d'abord une carrière au sein de l'Institut géographique national (IGN) dans le prestigieux département de la géodésie. Cette discipline «reine» (disait-il) du processus cartographique en est la plus scientifique et la plus complexe - offrant en outre des missions nationales ou internationales passionnantes et variées, dans des conditions parfois très aventureuses! Cette riche expérience initiale a forgé les grandes qualités professionnelles et les traits de caractère les plus saillants de l'homme, mais aussi du personnage. Car Jean Gervaise se distinguait tout autant par l'audace et la pertinence de ses visions techniques que par le panache et le franc-parler d'un homme de terrain chevronné.

Mis temporairement à disposition du CERN par l'IGN, il a rejoint l'Organisation le 13 décembre 1954 avec André Decae pour concevoir la métrologie de positionnement du PS (l'alignement, selon le terme consacré ici). Ce projet était fort exigeant pour les moyens de l'époque et demandait déjà des solutions novatrices. Cette mission s'est commuée en détachement, avec un premier contrat CERN le 1er janvier 1956. Ce fut le début d'une carrière prodigieuse qui fut toujours imprégnée de l'enthousiasme et de l'esprit d'initiative de ces pionniers du CERN. Chacun dans leur domaine, ils avaient tout à concevoir, développer et réaliser.

Responsable de ce qui fut généralement dénommé «Groupe Survey» (pour groupe «Alignement», «Métrologie et topométrie» ou «Géodésie appliquée»), il a satisfait avec succès aux exigences métrologiques toujours plus grandes des machines et expériences successives, s'adjoignant les compétences nouvelles nécessaires, initiant le développement de méthodes et instruments spécifiques (distinvar, écartomètres à fil ou à laser), et réalisant «in fine» des performances techniques lui valant une reconnaissance internationale en la matière. On en trouve des applications non seulement dans les accélérateurs de particules mais en bien d'autres réalisations scientifiques, techniques ou industrielles.

Les innovations et les réalisations remarquables accomplies dès ses débuts lui permirent d'obtenir brillamment un doctorat, en 1965, à l'Université de Munich. Très féru de géologie et de géomécanique, il affectionnait particulièrement le bel épisode de sa carrière que fut la recherche et la qualification géotechnique des sites possibles pour le projet de machine 300 GeV (SPS). On retiendra aussi les développements techniques et méthodologiques apportés aux gyroscopes d'orientation souterraine et son audace à baser le pilotage des tunneliers du SPS, puis du LEP sur des longueurs inhabituelles entre des points de contrôle à la surface - d'où une économie considérable. Cela paraissait inconcevable avec les précisions requises, et ce fut dans les deux cas un grand succès. L'acquisition d'un distancemètre exceptionnel (le «Terramètre», précision 1 mm à 10 km) permit d'établir pour le LEP le réseau géodésique le plus précis du monde. L'usage géodésique ultrafin du GPS put alors faire l'objet d'une vérification fort probante sur ce réseau, le tout constituant une surprise étonnante en 1985 lors d'un congrès sur ces premières applications du GPS en positionnement de précision.

Parallèlement, il faut aussi mentionner en lui le dirigeant soucieux de l'avenir du CERN mais aussi de celui de ses collaborateurs, veillant à leur évolution, à leur bonne entente et à leur bien-être au travail. Attentif à l'enseignement et à la communication, il portait une attention particulière à la formation des jeunes. Cet esprit a été maintenu, voire amplifié, par ses successeurs: plus de 250 stagiaires sont passés dans ce groupe.

Parti en retraite en 1986, il fut l'un des fondateurs et président du Groupement des Anciens du CERN. On ne peut enfin passer sous silence l'homme qui se cachait dans ou derrière le personnage. Celui des attachements profonds et sincères, celui accueillant et généreux qui tenait volontiers - avec son épouse Madeleine - table ou maison ouverte, celui de tous les bons moments festifs ou très simplement humains qu'il savait ménager dans ses relations.

Michel Mayoud
Successeur de Jean Gervaise de 1986 à 2005