Attention aux particules isolées !

C’est en 1991 que les effets des rayons cosmiques sur des appareils électroniques ont été observés pour la première fois, lorsque des instruments embarqués à bord d’un satellite de l’ESA sont tombés en panne après seulement cinq jours dans l’espace. Le 5 juillet 2008, le groupe TS-LEA aura fini d’installer les détecteurs qui contribueront à réduire ces dangereux effets sur l’électronique du LHC.

Des membres du groupe TS-LEA montrant leur détecteur de rayonnement.

Au total, 329 détecteurs de rayonnements ont été installés dans le tunnel et les zones d’expérimentation du LHC. Ils permettent de contrôler méticuleusement les niveaux de rayonnement tout le long de l’anneau, notamment aux endroits cruciaux comme les points d’interaction et les sections où le faisceau est nettoyé. Les rayonnements sont bien connus pour dégrader les appareils électroniques, qui se mettent alors en général à consommer plus de courant. Évidemment, plus les radiations sont fortes, plus les dommages sont importants. Comme le niveau de rayonnement augmentera lentement dans le LHC, ce genre d’effet néfaste ne se manifestera qu’après un certain temps. Cependant, un des dangers immédiats peut venir des dommages causés par des «particules isolées». Le nombre d’erreurs provoquées par des particules isolées est proportionnel à celui des particules qui touchent les équipements, et ce phénomène aura lieu dès qu’un faisceau circulera dans le LHC.

Les perturbations isolées apparaissent lorsque des particules individuelles (en général des hadrons de plus de 20 MeV) interfèrent avec un appareil électronique et provoquent des modifications électriques assez importantes pour fausser les données, que ce soit au niveau de la mémoire ou dans d’autres parties des circuits électroniques. C’est un phénomène qui n’a été identifié qu’assez récemment. À la fin des années 70, les mémoires vives dynamiques DRAM ont été les premières à subir ce type d’erreurs, causées par des particules alpha émises par le boîtier des puces électroniques qu’on utilisait à l’époque. Au milieu des années 90, les neutrons de haute énergie issus de rayons cosmiques sont devenus la principale source de perturbations isolées des mémoires. Cependant le plein impact que pouvait avoir ce type de rayonnement sur des machines de grande taille comme le LHC n’a été clairement établi que plusieurs années plus tard.

Le problème est envisagé tout autrement depuis l’année dernière, suite à des anomalies observées dans le cadre du projet CNGS (Neutrinos du CERN vers le Gran Sasso). Suspect numéro un: des neutrons de haute énergie ayant entraîné des perturbations isolées. «La ventilation de l’installation neutrino est tombée en panne à cause de particules isolées, et la température est montée jusqu’à 50 degrés» explique Thijs Wijnands, responsable de la section de surveillance des rayonnements de TS-LEA. «Grâce à nos détecteurs de rayonnements, nous avons pu confirmer que des particules isolées de haute énergie causaient de sérieux problèmes dans l’électronique.» L’expérience acquise grâce au projet CNGS est très utile pour le LHC.

«Nous essayons bien sûr de réduire au maximum les équipements électroniques dans le tunnel, mais de nombreux appareils ne peuvent être installés ailleurs. Afin de diminuer l’impact du rayonnement, presque toute l’électronique du tunnel a été conçue de manière à pouvoir supporter les radiations. Cela signifie que les appareils peuvent fonctionner correctement en dessous d’un certain seuil de rayonnement. Des défaillances de mémoire du fait d’une perturbation isolée peuvent encore survenir, mais cela n’entraîne pas de panne. Nos détecteurs de rayonnement nous indiquent la quantité de rayonnement à laquelle est exposée chaque appareil et nous préviennent à l’avance lorsque les niveaux commencent à augmenter.» L’équipe de Thijs Wijnands a dû trouver un moyen efficace pour mesurer les perturbations isolées. «On utilise des mémoires d’ordinateurs classiques, on les remplit avec des 0 et des 1 d’une façon bien précise, puis on les met dans le tunnel. Après un certain temps, on contrôle la mémoire et on observe ce qui a changé. De cette manière, nous savons combien de particules ont frappé les appareils électroniques environnants.» L’équipe a aussi dû imaginer une façon de lire des données à très grande distance, puisque l’écart entre deux points d’entrée du tunnel peut aller jusqu’à 2,3 km.

Les détecteurs de rayonnement conçus au CERN par Thijs Wijnands et son équipe ont déjà été utilisés au Fermilab et suscitent un fort intérêt de la part d’autres institutions. Grâce à leur créativité, les scientifiques du CERN ont transformé un problème inopiné en solution inespérée.