La machine à fabriquer des nuages


L’équipe CLOUD pourra recréer dans la nouvelle chambre les conditions de toutes les zones de l’atmosphère, de la stratosphère polaire aux basses couches tropicales.


La nouvelle chambre à son emplacement dans le hall Est. Après un nettoyage soigneux, la chambre sera basculée en position opérationnelle.

Le lien entre les rayons cosmiques et le changement climatique, vivement débattu au cours des dix dernières années, n’a pas manqué de capter l’attention des médias. Cette idée repose sur la possibilité que des particules entrant dans l’atmosphère en provenance de l’espace puissent avoir une incidence sur la formation des nuages et donc sur le climat. Mais, malgré la controverse entourant cette théorie, la question centrale – les rayons cosmiques participent-ils à la formation des nuages? – n’a jamais vraiment fait l’objet de tests en laboratoire.

L’expérience CLOUD (Cosmics Leaving OUtdoor Droplets) conduite au CERN sera l’une des premières expériences au monde à tester directement l’incidence des rayons cosmiques sur la formation des nuages dans des conditions de laboratoire contrôlées. La chambre à nuage et à aérosols de l’expérience, de trois mètres de diamètre, est arrivée le mercredi 20 mai. Partie essentielle de l’expérience, elle sera utilisée pour recréer avec précision différentes conditions de l’atmosphère.

Cette chambre est l’aboutissement de trois ans de recherche et de conception depuis la première approbation de l’expérience en 2006. Après avoir été équipée d’un ensemble d’instruments de mesure sensibles, elle sera soigneusement nettoyée, testée et calibrée pour que les scientifiques puissent commencer à recueillir des données, ce qu’ils espèrent pouvoir faire avant la fin de l’année.

«Je pense que les indices suggérant qu’il existe un lien entre les reconstitutions des changements climatiques passés et l’activité du Soleil sont trop nombreux pour qu’on les ignore», explique Jasper Kirkby, porte-parole de l’expérience CLOUD. «De nombreuses observations indiquent que les variations du Soleil semblent avoir une incidence sur le climat, mais pour l’heure, nous n’en connaissons pas encore le mécanisme».

«Le but de l’expérience CLOUD est de déterminer si oui ou non les rayons cosmiques affectent les nuages et le climat, en étudiant les interactions microphysiques entre les rayons cosmiques et les aérosols, les gouttelettes des nuages et les particules de glace.» C’est l’un des mécanismes de variabilité climatique liée au Soleil possibles, étant donné que le vent solaire – le flux de particules chargées provenant du Soleil – fluctue en fonction du temps et a une incidence sur l’intensité des rayons cosmiques qui atteignent la Terre.

«L’ensemble du processus est bien connu, mais il reste à déterminer si les rayons cosmiques ont une influence réelle sur la formation des nuages. Si cette influence peut être prouvée, alors je pense que la variabilité climatique liée au Soleil cessera d’être un sujet controversé pour devenir un thème très respecté. Si, au contraire, cette corrélation est rejetée, cela nous permettra de nous concentrer sur d’autres mécanismes qui pourraient être à l’œuvre», poursuit Jasper Kirby.

Un faisceau du PS (synchrotron à protons) est utilisé pour créer un faisceau de «rayons cosmiques artificiels». Ceux-ci peuvent être ajustés soigneusement et dirigés vers la nouvelle chambre, remplie d’appareils de détection tels que des spectromètres, des détecteurs de cristaux de glace et des caméras CCD. Avec l’ajout, l’an prochain, d’un boîtier thermique et d’un système de contrôle, l’équipe sera en mesure de recréer à l’intérieur de la chambre toutes les conditions de l’atmosphère, de la stratosphère polaire aux basses couches de l’atmosphère dans les tropiques.

«Nous pouvons contrôler avec précision ce qui se trouve à l’intérieur de la chambre, mais aussi les rayons cosmiques, explique Jasper Kirkby. Cette capacité de réaliser des tests dans des conditions contrôlées distingue CLOUD des observations de l’atmosphère. Lorsque que vous observez un phénomène directement dans l’atmosphère, vous ne pouvez jamais être sûr d’en connaître l’origine car il existe un grand nombre de facteurs variables à prendre en compte.»

La formation des nuages dépend fortement de certains gaz présents à l’état de traces dans l’atmosphère, et la concentration de ceux-ci à l’intérieur de la chambre doit être contrôlée avec une grande précision. L’un des défis majeurs est donc de faire en sorte que la chambre soit aussi propre que possible, ce qui a nécessité l’intervention de spécialistes du CERN qui ont l’habitude des éléments permettant d’obtenir l’ultravide dans les accélérateurs. «Mais même pour le CERN, les besoins de l’expérience CLOUD sont exigeants. Nous contrôlons les concentrations de certains gaz avec une précision supérieure à 1 ppt, c’est-à-dire 4 à 6 ordres de grandeur en dessous de ce qui est nécessaire pour la plupart des détecteurs à liquide ou à gaz utilisés en physique des particules.»

C’est la première fois qu’un accélérateur de particules est utilisé dans le cadre de la science de l’atmosphère et de la climatologie; l’expérience CLOUD se situe donc à la croisée de plusieurs disciplines différentes. L’équipe est composée de physiciens et de chimistes de l’atmosphère, de physiciens spécialistes du Soleil, des rayons cosmiques, et de physiciens des particules.

«CLOUD fait intervenir une équipe de renommée internationale qui réunit les meilleurs physiciens européens et américains dans le domaine des aérosols et des nuages, indique Jasper Kirkby. Travailler sur une expérience interdisciplinaire est absolument passionnant. La physique des particules et la physique de l’atmosphère ont deux approches différentes – il s’agit pour ainsi dire d’une différence culturelle. Les physiciens des particules préfèrent étudier les systèmes les plus simples, les plus fondamentaux, alors que la plupart des spécialistes de l’atmosphère et du climat ont comme objet d’étude l’un des systèmes les plus complexes qui soit – à savoir l’atmosphère et le climat.»

L’équipe est composée de spécialistes venant d’un si grand nombre de disciplines différentes que les universités de Genève et de Lausanne ont mis en place un projet de doctorat en sociologie sur l’expérience CLOUD pour étudier le fonctionnement de cette collaboration interdisciplinaire.

Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site web de l’expérience CLOUD: http://cloud.web.cern.ch/cloud/).

La vidéo complète de la conférence de Jasper Kirkby au CERN, Rayonnements cosmiques et climat, est disponible à l’adresse suivante:

http://indico.cern.ch/conferenceDisplay.py?confid=52576