Une nouvelle science pour la planète

« Quand un problème se complique, la solution, c’est le réseau ». Rien de nouveau, me direz-vous. Mais ce que Bob Bishop a en tête, c’est l'une de ces innovations susceptibles de changer le cours de l’histoire. Ce qu’il propose, c’est de mettre les sciences en réseau pour créer un nouveau savoir. Tout cela pour le bien de la planète... et sa survie.

 

À la fin du XVe s. et au début du XVIe s., Léonard de Vinci était non seulement ingénieur, mais aussi peintre, mathématicien et architecte. Avec le temps, les sciences ont plutôt eu tendance à se spécialiser. « Depuis plus de 200 ans, nous considérons les sciences comme des branches ou des compartiments séparés », observe Bob Bishop, ancien directeur général de Silicon Graphic et physicien ayant à son actif plus de 40 ans d’expérience dans le domaine de l'informatique appliquée aux sciences, aux techniques et à l’ingénierie.

Le 29 janvier, Bob Bishop était au CERN, où il a animé un séminaire sur le rôle de l’informatique en climatologie. Il est le président de la toute nouvelle fondation ICES (International Centre for Earth Simulation), dont le but ultime est de créer un supercalculateur capable de modéliser l’ensemble de la Terre afin de simuler son comportement. Il serait alors possible de prédire la survenue de catastrophes naturelles, comme les tsunamis ou les ouragans. « Actuellement, nous avons à notre disposition la théorie et l’expérimentation. La modélisation et la simulation constituent la troisième branche de la création de savoir. Pour construire un modèle capable de générer des prévisions, il faut comprendre les différents processus qui entrent en jeu et recourir aux mathématiques qui représentent au mieux ces processus », explique-t-il.

La création de cette organisation mondiale de la climatologie doit permettre la construction d’un supercalculateur ultraperformant capable de calculer tous les paramètres, liens et données d’entrée à partir desquels des prévisions sensées pourraient être établies. « Pour qu’un modèle soit validé, il convient de comparer les résultats obtenus avec la réalité, indique Bob Bishop ; faute de quoi, il faut reprendre tout le processus depuis le début. On peut faire cela assez vite avec un puissant supercalculateur. »

Le supercalculateur de Bishop devra traiter environ un million de milliards d’opérations en virgule flottante par seconde (soit un pétaflop), ainsi que plusieurs exaoctets (un milliard de milliards d’octets) de données. Exploité à pleine intensité, le LHC produira environ 15 pétaoctets de données par an, ce qui finira par atteindre le niveau de l’exaoctet. La stratégie adoptée par le CERN pour traiter une telle quantité de données est l’utilisation de la Grille de calcul, un réseau constitué de milliers d'ordinateurs « classiques » répartis sur l’ensemble de la planète et hiérarchisés par niveau. Dans le cas des sciences de la Terre, il est préférable de n’avoir recours qu’à un seul supercalculateur, car une vitesse environ 1000 fois supérieure à la vitesse en temps réelle est nécessaire pour attaquer le problème. Si l’on divise un problème et qu’on le répartit entre les différents ordinateurs de la Grille, le temps nécessaire à la connexion entre chaque machine suffira à ralentir la vitesse de calcul et rendra le système inutilisable », explique Bob.

Collecter l’argent nécessaire à un projet de cette envergure n’est pas facile ; mais, si l’on réfléchit bien, rien ne coûte plus cher que les catastrophes naturelles qui provoquent des pertes humaines. Si un tel supercalculateur pouvait effectivement simuler le comportement de la Terre de sorte que l’on puisse prédire, voire prévenir des phénomènes naturels dangereux, ce serait certainement la meilleure affaire de tous les temps. « La nature fonctionne en intégrant, pas en désintégrant, poursuit Bishop. Nous avons passé 200 ans à acquérir une connaissance très approfondie de phénomènes particuliers. Aujourd’hui, nous avons atteint un niveau élevé de spécialisation dans tous les domaines de la science. Dans le cas des sciences de la Terre et du climat, il existe 50 à 60 spécialités qui se recoupent. La géologie, la géographie, mais aussi la physique atmosphérique, la physique des nuages, la physique solaire et la cosmologie sont toutes liées et doivent être intégrées. Je crois que le XXIe s. sera le celui de la réintégration, où les éléments communiqueront à nouveau entre eux, comme ils le font dans la nature ».


par CERN Bulletin