3.5 TeV : la patience paie

Dans mon message de cette semaine, je voudrais féliciter l’équipe du LHC, qui, tôt ce matin, a accéléré deux faisceaux jusqu’à 3,5 TeV. Le moment n’aurait pu être mieux choisi. Survenu pendant une semaine de réunions du Conseil du CERN, cet événement nous a permis de montrer aux délégués les grands progrès réalisés.
 

Cela a été l’occasion également de réaffirmer l’approche prudente, pas à pas, que nous avons adoptée pour le lancement du LHC. Il était à cet égard révélateur d’entendre un délégué du Comité des directives scientifiques déclarer lundi dernier qu’il ne fallait pas oublier que le LHC n’est pas une machine de série... Avec les progrès réalisés par le LHC, il serait facile d’oublier ce fait. Les chiffres de cette première exploitation parlent d’eux-mêmes. Semaine 10, la disponibilité de faisceau pour les opérateurs était de plus de 65% : il faut généralement des années pour qu’un nouvel accélérateur accède à ce niveau de fiabilité. Et, au cours des dernières semaines, l’exploitation à 450 GeV est devenue une opération de routine, chose qui, généralement, prend beaucoup de temps à se mettre en place sur une nouvelle machine.

Tout cela est de très bon augure, mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que le LHC est une machine nouvelle, et non un système acheté dans le commerce. Le LHC est un prototype de pointe qui repousse les limites de la technologie dans un grand nombre de domaines, et nous devons à ce titre le considérer avec le plus grand respect. Nous nous sommes bien remis de l’incident du 19 septembre 2008, et nous nous trouvons maintenant à l’orée d’une nouvelle ère de découverte. Toutefois, les suites de cet incident resteront présentes pendant un certain temps.

Alors que nous approchions des 3,5 TeV, nous avons rencontré un phénomène lié aux systèmes de protection de la machine qui nous a obligés à allonger le temps de montée en énergie, porté de 15 minutes à environ 75. Il s’agit d’une solution temporaire, le temps que cet effet soit corrigé. Avec une machine comme le LHC, c’est typiquement le genre de défi que nous sommes amenés à rencontrer dans la phase de démarrage, et nous devons nous préparer à en rencontrer d’autres.

Traditionnellement, les accélérateurs du CERN fonctionnent selon un cycle annuel : ils sont exploités pendant sept à huit mois et arrêtés quatre à cinq mois chaque année. Avec le LHC, la situation est différente. Étant donné qu’il s’agit d’une machine cryogénique fonctionnant à très basse température, il lui faut environ un mois pour être ramené à température ambiante et un autre mois pour être refroidi. Un arrêt de quatre mois dans le cadre d’un cycle annuel ne se justifie donc plus. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé à Chamonix de passer à un cycle plus long avec des périodes de fonctionnement plus longues et des arrêts eux aussi plus longs en cas de besoin. Ce n’est que quand les réparations et la consolidation seront terminées, après le prochain arrêt du LHC, que nous serons pleinement en mesure de considérer que l’incident du 19 septembre 2008 n’est plus que de l’histoire ancienne.

Dans l’intervalle, nous pouvons être fiers de ce que nous avons réalisé à ce jour, tout en nous rappelant, comme nous y invite ce délégué du SPC, que nous sommes en train d’explorer des voies nouvelles du point de vue technologique comme du point de vue scientifique. Procéder pas à pas, comme cela a été décidé par la Direction, les équipes responsables de la machine et des expériences, est la seule ligne de conduite raisonnable. Cela prend du temps, mais, comme nous l’avons vu cette semaine, la patience paie.

 

par Rolf Heuer