On arrive bientôt ?

Deux séries de résultats passionnants ont été communiqués par le CERN cette semaine, illustrant la diversité de ses programmes de recherche, ainsi que la nécessité de continuer à regarder droit devant. En présence de nouveaux résultats, la tentation est grande de les interpréter au-delà de ce qu’ils semblent vouloir nous dire. C’est précisément en pareille circonstance que nous devons rester prudent et ne pas lire dans les données plus qu’elles ne disent en réalité.

 

Les premiers résultats de physique viennent des expériences LHC, qui ont fait part de leurs toutes dernières observations lors de la conférence Lepton-Photon, qui a débuté le lundi 22 août, à Mumbai. Ont entre autres été présentés de nouveaux éléments sur la recherche du Higgs. Comme pouvaient s’y attendre les vieux routards de la physique comme moi, l’excès d’événements observé à 145 GeV il y a un mois et évoqué lors de la conférence de la Société européenne de physique (EPS) à Grenoble semble un peu moins convaincant après l’analyse d’un plus grand nombre de données. Cet excès pourrait tout de même correspondre à une réalité, mais, comme cela a été clairement dit lors de la conférence de l’EPS, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une fluctuation statistique. Seul un plus grand nombre de données nous le dira. Une chose est sûre désormais : si le boson de Higgs existe, il est très certainement plus léger que quelque 145 GeV ou plus lourd que 466 GeV. Il s’agit précisément des régions où il est plus difficile de le différencier des bruits de fond, et où nous avons toujours su que, si c’est là qu’il est susceptible de se cacher, plus de données seront nécessaires avant de pouvoir le découvrir ou exclure définitivement son existence. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agirait d’un résultat capital. L'excès d’événements rapporté lors de la conférence de l’EPS est certes grisant, mais il n’est jamais sage de sur-interpréter abusivement un résultat tant qu’il est frais.

Le même message de prudence s’applique à la deuxième série de résultats importants venus du CERN cette semaine. Jeudi, la revue Nature reprenait le premier article publié par l'expérience CLOUD. La collaboration CLOUD réunit une équipe internationale et interdisciplinaire de scientifiques qui utilisent l’expertise et les accélérateurs du CERN pour étudier la physique à l’origine de la formation des nuages. Compte tenu des inquiétudes actuelles soulevées par le changement climatique, ces travaux sont à l’évidence essentiels. À long terme, ils apporteront des données importantes qui permettront de mieux comprendre le climat. Mais nous n’en sommes qu’au tout début. Les premiers résultats de l’expérience CLOUD indiquent que les vapeurs qui, jusque là, étaient considérées comme responsables de la nucléation de particules d’aérosol atmosphériques conduisant à la formation des nuages, ne suffisent pas à expliquer les observations atmosphériques. Ces résultats révèlent aussi que l’ionisation par les rayons cosmiques favorise considérablement le taux de formation d’aérosols à partir de ces vapeurs. Cela veut donc dire que d’autres vapeurs doivent entrer en jeu, et que les rayons cosmiques pourraient jouer un rôle dans la formation des nuages : ni plus, ni moins. Pour CLOUD, reste maintenant à identifier ces autres vapeurs et à étudier les processus par lesquels les aérosols deviennent les noyaux de condensation autour desquels se forment les gouttelettes qui composent les nuages. Cela prendra du temps.

Si les programmes de recherche du LHC et de CLOUD sont très éloignés l’un de l’autre, ils représentent tous deux un long voyage qui ne fait que commencer. Et comme dans tout long voyage, les premières heures sont toujours passionnantes et pleines d’espoir. À mi-parcours, des petites voix sur la banquette arrière s’élèvent pour demander « On arrive bientôt ? » ; et lorsque les espoirs sont comblés, le voyage touche à sa fin. Alors, on arrive bientôt ? Pas encore, mais nous sommes en bonne voie.

 

 Rolf Heuer