Un matériau à mémoire de forme pour le HL-LHC

Une collaboration entre le CERN et l’Université de Calabre est en train de développer, pour les chambres à vide, un nouveau dispositif de raccordement destiné à être utilisé dans le LHC haute luminosité (HL-LHC) : des bagues en alliage à mémoire de forme (AMF). Il s’agit de tirer parti des caractéristiques remarquables de ces matériaux, capables de mémoriser différentes formes à des températures élevées ou basses, afin de créer une solution de pointe permettant d’assurer l’étanchéité des chambres à vide dans la version améliorée de l’accélérateur.

 

Preuve de concept d'une bride AMF pour des chambres à ultra-vide. (Photo : Fabrizio Niccoli)

Dans les accélérateurs de particules, les faisceaux circulent à l’intérieur de chambres à vide, raccordées entre elles par des brides – des éléments techniques complexes assurant l’intégrité du système de vide. À l’heure actuelle, deux types de brides sont utilisées dans le LHC : les brides « ConFlat », qui sont boulonnées ; et les brides de serrage rapide utilisées sur des éléments radioactifs (par exemple des collimateurs), qui nécessitent des colliers à chaîne lourds et de grande taille. Serrer ou desserrer une bride prend du temps et peut se traduire par une dose de rayonnement plus élevée pour le personnel travaillant dans un environnement radioactif. « Nous cherchions à obtenir une bride compacte et légère qui soit facile à installer et à retirer, éventuellement à distance, et qui puisse limiter le temps d’une intervention », explique Paolo Chiggiato, chef du groupe Vide, surfaces et revêtements (VSC). Et la solution est venue des alliages à mémoire de forme.

En gris : les chambres à vide. En bleu : La bague en AMF dans sa configuration élargie (phase martensitique) – voir l’encadré. En rouge : La bague en AMF dans sa configuration contractée (phase austénitique) – voir l’encadré. (Image : Fabrizio Niccoli)

« L’effet de mémoire de forme désigne la capacité d’un AMF de "mémoriser" sa forme d’origine sous l’effet de la chaleur, explique Cédric Garion, membre du groupe VSC. Cela est possible dans certaines conditions thermomécaniques, dans des configurations cristallographiques microscopiques particulières (voir l’encadré). Au CERN, nous sommes particulièrement intéressés par les alliages nickel-titane (Ni-Ti), qui présentent un potentiel très prometteur de restitution de forme. » Actuellement développé par le CERN en collaboration avec le département de techniques mécaniques, énergétiques et de gestion (DIMEG) de l’Université de Calabre (Italie), le dispositif de raccordement en nickel-titane concerné présenterait l’avantage d’être installé ou retiré facilement. Les bagues en AMF peuvent prendre deux tailles différentes : une petite taille après contraction sous l’effet de la chaleur ; et 2) une plus grande taille après contraction sous l’effet du froid. « Après avoir subi certains traitements thermomécaniques, les bagues en AMF actuellement à l’étude (présentant un diamètre interne de 45 mm et une épaisseur de 8 mm environ), se contractent sous l’effet de la chaleur, ce qui fait varier leur diamètre de plusieurs millimètres ! explique Fabrizio Niccoli, de l’Université de Calabre, qui prépare actuellement un doctorat sur cette question. On pourrait facilement les installer à température ambiante autour des extrémités des chambres, lorsqu’elles sont légèrement plus grandes. Il suffit ensuite de les chauffer pour obtenir la forme contractée et de serrer les chambres à vide pour assurer l’étanchéité du vide. Les tests réalisés au CERN ont montré que l’étanchéité pouvait être reproduite au-dessous de 10-10 mbar l s-1. On retire la bague en AMF en faisant baisser sa température au-dessous de la température ambiante, ce qui lui permet de retrouver une grande taille. Elle devient alors suffisamment relâchée pour que les techniciens puissent facilement ouvrir les canalisations. »

Cette technologie est développée en vue du futur HL-LHC, qui sera en service en 2026. La luminosité du HL-LHC sera dix fois plus élevée que celle du LHC actuel. Du fait de l’augmentation de la luminosité, la radioactivité sera plus élevée en certains points de l’accélérateur. Le temps passé dans certaines parties des tunnels devra alors être réduit autant que possible.
 

Variations cristallographiques​

À gauche : La structure austénitique. À droite : La structure martensitique. (Image : Fabrizio Niccoli)

Dans certaines conditions thermomécaniques, les alliages à mémoire de forme présentent des configurations cristallographiques microscopiques particulières, correspondant aux phases martensitique et austénitique. La présence de l’une ou de l’autre phase dépend principalement de la température et/ou des contraintes appliquées. La phase austénitique est stable à haute température et avec de faibles contraintes appliquées, et est caractérisée par une maille cubique centrée, alors que la phase martensitique est stable à basse température et avec de fortes contraintes appliquées, et est caractérisée par une maille monoclinique déformée.

Les propriétés des alliages à mémoire de forme présentent un grand intérêt dans les secteurs biomédical et industriel. Ces alliages s’avèrent particulièrement utiles dans le domaine aérospatial en raison d’exigences élevées liées à la fiabilité et à l’espace géométrique. Les applications des AMF sont notamment les suivantes : actionneurs, raccords de structure, amortisseurs de vibrations, scelleuses et manipulateurs.

 

par Anaïs Schaeffer & Stefania Pandolfi