Le LEP fait place nette

Depuis la fin novembre, les équipes s'activent au démantèlement de l'accélérateur LEP et de ses quatre expériences. Après la mise en sécurité des installations, le démontage et l'évacuation des 40 000 tonnes de matériel commencent.

Instant solennel au fond du tunnel. Il est 10 heures, en ce 13 décembre, et Daniel Regin, l'un des responsables du démantèlement du LEP, s'avance vers un aimant dipôle armé d'une grignoteuse hydraulique. Devant les équipes venues prendre un cours de démantèlement, il découpe le premier morceau du LEP. Le grand démontage a commencé ! Dans un peu plus d'un an, l'accélérateur aura fait place nette pour son successeur, le LHC.
Le tout début des opérations a en fait débuté le 27 novembre dernier. Car avant de s'attaquer au LEP avec cisailles hydrauliques et clés à molette, il faut procéder à la mise en sécurité de la machine. Autrement dit s'assurer que l'on peut démonter sans danger. Tous les systèmes d'injection de faisceaux du SPS vers le LEP ont été coupés. Les fluides, qui assurent le refroidissement des aimants et des cavités supraconductrices, ont été purgés. La chambre à vide a été remise à la pression atmosphérique. Enfin, les alimentations électriques ont été déconnectées. Sauf celles des équipements utiles au démantèlement, comme les éclairages. Ces trois premières semaines ont également été mises à profit pour effectuer l'examen radiologique de l'accélérateur. Depuis sa création, le LEP est en effet classé installation nucléaire de base (INB). Son démantèlement est donc strictement contrôlé. La radioactivité du LEP est certes extrêmement limitée, se résumant à quelques composants. Après 11 ans de fonctionnement, « 98% des 40 000 tonnes qui le composent ne sont ainsi absolument pas radioactifs », souligne John Poole, le chef du démantèlement. Le reste est classé comme « Très faiblement radioactif », affichant un taux légèrement supérieur à la radioactivité naturelle du granit des Alpes. Ces composants sont des pièces métalliques en contact avec les faisceaux. Un zonage, réalisé à partir de calculs, a été mis en place pour délimiter les quelques parties contenant du matériel actif. Une délimitation confirmée depuis par des mesures de radioactivité prises sur les 27 kilomètres de machine.

Le 13 décembre, Daniel Regin, l'un des responsables du démantèlement, découpe le premier morceau du LEP à l'aide d'une grignoteuse hydraulique. Des équipes venues prendre un cours de démontage assistent à la scène.

Cette classification INB implique le respect de règles draconiennes, et notamment une traçabilité à 100% du matériel sortant du LEP. La moindre caisse de boulons doit être étiquetée et tracée jusqu'à sa destruction. Aucune pièce ne peut sortir du tunnel sans avoir subi un premier contrôle radiologique en sous sol, puis un deuxième à la sortie du puits. Et une troisième mesure est effectuée lorsque le matériel quitte le CERN. Des techniciens de la radioprotection sont donc présents en permanence sur les sites. Autre conséquence pratique : le LEP est interdit aux visiteurs. Toutes les autorisations d'accès délivrées jusqu'à présent ont en effet été invalidées. Une formation spécifique doit être suivie pour obtenir une nouvelle carte d'accès. Le système d'accès a d'ailleurs été remplacé. Chaque portique est désormais relié à une base de données centrale, ce qui en facilite le contrôle.

Tout ce qui sort du tunnel subit trois contrôles radiologiques : un premier dans le tunnel, un deuxième à la sortie du puits (ci-dessus) et un troisième avant de quitter le CERN.

Mais la conséquence la plus visible du démantèlement sera l'énorme quantité d'équipements à évacuer. 30 000 tonnes de matériel vont sortir de terre ! Une zone de 4 800 mètres carrés a été aménagée sur le site du CERN à Prévessin pour accueillir le matériel conventionnel en transit. La médaille du plus gros tonnage revient aux aimants, pesant au total 18 000 tonnes ! La grande majorité d'entre eux sont les aimants dipôles dont les culasses, mesurant 12 mètres de long, devront être coupées en deux avant d'être extraites. Mais le tunnel recèle une foule d'autres équipements : 1000 tonnes de système de vide, 2000 coffrets électriques et plusieurs centaines de kilomètres de câble qu'il faudra tronçonner... Au plus fort du démantèlement, 250 personnes travailleront ainsi en même temps à extraire les pièces de l'accélérateur. Le plus gros du travail débutera début janvier et il faudra 16 mois pour tout évacuer.

Pour plus d'informations sur le démantèlement, les formations et les règles d'accès, un site spécial a été créé :

http://www.cern.ch/LEP-dismantling-project/

30 000 tonnes à revaloriser

Sur les 30 000 tonnes qui constituent le LEP, 15 000 tonnes seront recyclées par le CERN. Les culasses des dipôles, par exemple, vont servir de matériau de construction pour renforcer des structures. 400 tonnes, comme les cavités accélératrices supraconductrices, seront conservées pour être éventuellement réutilisées dans des expériences futures du CERN. Le reste sera vendu à des entreprises habilitées qui se chargeront du recyclage. A l'exception bien entendu du petit tonnage de matériel très faiblement radioactif qui, lui, sera entreposé dans une zone dédiée et protégée avant son élimination définitive dans des filières habilitées.

Les quatre expériences démontent aussi !

Tandis que le grand ménage débute dans le tunnel, les cavernes des expériences sont également en proie à l'effervescence. Car le démantèlement vient aussi de débuter pour ALEPH, DELPHI, L3 et OPAL. Au total, 10 000 tonnes de matériel sont à évacuer. Un démontage qui prendra de six à neuf mois, selon les expériences.
Comme au LEP, les expériences ont tout d'abord procédé à la mise en sécurité des installations. Les gaz et fluides ont été purgés, les alimentations électriques coupées. Mais avant, DELPHI, ALEPH et OPAL ont dû effectuer une opération supplémentaire : la démagnétisation de leur aimant. Car au terme de onze années de fonctionnement, ces puissants aimants ont magnétisé certaines parties des détecteurs, qui sont par conséquent collées les unes aux autres. Pour faciliter le démontage, il fallait donc les « décoller ». Les équipes ont ainsi alimenté les aimants afin de générer un cycle de champs magnétiques, de polarités opposées et d'intensités décroissantes. « Nous avons ainsi pu réduire de cent fois le champ rémanent », explique Christian Joram, le coordinateur technique de DELPHI. Les aimants supraconducteurs de DELPHI et ALEPH - dont la température de fonctionnement frise les - 270°C - ont ensuite été réchauffés à température ambiante.

A DELPHI, des employés au démantèlement coupent les premiers câbles du détecteur.

Les équipes de DELPHI se sont déjà attaquées à la couronne extérieure du détecteur, enlevant les chambres à muons qui la composent. Mais le détecteur sera en partie épargné. « Nous n'allons démonter que 1200 des 3000 tonnes qui le constituent », souligne Christian Joram. Le baril va en effet être conservé comme pièce de musée. Il sera glissé à une extrémité de la caverne et séparé par un épais mur du détecteur LHCb. Faute de place, les deux bouchons seront démantelés. Des pièces intéressantes des trois autres détecteurs seront également gardées pour être exposées. Et le monumental aimant de L3 restera en place pour le futur détecteur ALICE.

Premières opérations de démontage d'ALEPH : des centaines de kilomètres de câbles doivent être remontées à la surface.

Pour prendre en charge le démantèlement, DELPHI, L3 et OPAL ont fait appel aux instituts de leur collaboration, ceux là même qui ont fabriqué l'ensemble des sous-détecteurs il y a plus de 11 ans. « Ce sont les mieux placés pour démonter ce qu'ils ont construit, remarque Christian Joram, A DELPHI, une quinzaine de groupes vont aider au démantèlement. » Une petite équipe permanente d'une dizaine de personnes du CERN coordonne les travaux. ALEPH, en revanche, a créé un fond commun spécial pour le démantèlement, alimenté par tous les instituts de la collaboration. Du coup, c'est une seule équipe, financée par ce fond, qui se charge du démontage de l'ensemble du détecteur. « Les groupes de la collaboration récupéreront le cas échéant leur matériel en surface », explique Jean-Paul Fabre, le coordinateur technique d'ALEPH.
En surface, justement, les quatre collaborations ont mis en commun leurs opérations de transport et de logistique. Une seule entreprise suisse est ainsi chargée de racheter et de valoriser tout le matériel qui ne sera pas réutilisé par le CERN ou les instituts. « Cette entreprise a mis en place une zone de stockage commune à Peney, dans le canton de Genève », explique Christian Joram, qui est aussi chargé de la coordination générale du démantèlement des expériences.
Les 10 000 tonnes de matériel ne seront pas systématiquement étiquetées et suivies à la trace, comme c'est le cas pour l'accélérateur. De fait, les calculs et les mesures ont montré que les détecteurs ne sont pas radioactifs et sont par conséquent zones conventionnelles. En revanche, ils abritent de nombreuses sources radioactives destinées au calibrage. Les responsables du démantèlement ont donc décidé de prendre le maximum de précautions. Ainsi, tout les équipements subissent un contrôle radiologique avant de sortir de terre. Et comme les cavernes sont devenues zones de chantier, avec tous les risques inhérents, elles ne sont désormais accessibles qu'aux seules personnes qui travaillent au démantèlement. Les anciennes cartes d'accès ont d'ailleurs été invalidées. Et tout le personnel travaillant sur les détecteurs a suivi une formation de sécurité spécifique.

Pour plus de renseignements sur le démantèlement des expériences, vous pouvez consulter le site suivant :

http://cern.ch/exp-dismantling/info.htm