Un tonneau de cristal

La production des cristaux du tonneau du calorimètre électromagnétique de CMS est terminée. Un jalon majeur pour l'expérience qui a reçu son 62960e et dernier cristal le 9 mars dernier.

L'équipe responsable de la réception des cristaux au CERN montre le dernier cristal pour le tonneau du calorimètre électromagnétique de CMS. De gauche à droite: Igor Tarasov, Etiennette Auffray et Hervé Cornet.

L'une des six machines spécialement développées pour mesurer 67 paramètres de chaque cristal. Igor Tarasov insère dans la machine le dernier lot de cristaux.

Le dernier des 62960 cristaux pour le tonneau de CMS est arrivé au CERN le 9 mars. Sorti de son enveloppe de polystyrène, le délicat cristal va suivre la voie de ses milliers de prédécesseurs et sera inséré dans quelques jours dans le 36e et dernier supermodule du calorimètre électromagnétique tonneau de l'expérience.

Ainsi s'achève un chapitre important d'une histoire de près de 15 ans pour les membres de l'équipe des cristaux de CMS, dont certains ont suivi le projet depuis le début. Le projet des cristaux de CMS constitue une aventure emblématique de la physique des particules puisqu'il associe un développement technologique inédit dans le cadre d'une collaboration internationale, la reconversion d'un site industriel militaire en usine à usage pacifique, et un transfert de technologies qui donne déjà des résultats dans le domaine de l'imagerie médicale.

L'histoire des cristaux de CMS a démarré avec la collaboration Crystal Clear, dans le cadre du programme DRDC (projet RD18) qui a étudié au début des années 90 différents types de cristaux pour la détection. Les cristaux de tungstate de plomb (PbWO4) se sont imposés de par leur densité élevée et donc leur bonne capacité à arrêter les particules sur une longueur réduite. Ils présentaient également l'avantage d'une scintillation rapide et d'une bonne tenue aux radiations. En 1994, un nouveau type de photodétecteur, la photodiode à avalanche (APD), a rendu possible l'utilisation de ce cristal en permettant la lecture d'un faible niveau de lumière dans un champ magnétique. Après une intense phase de R&D menée par des groupes de CMS et de Crystal Clear avec différents producteurs (BTCP en Russie, Crytur en République tchèque, SIC en Chine, Saint-Gobain en France), les propriétés optiques et la tenue aux radiations ont été améliorées pour rendre possible l'utilisation de ce cristal dans les conditions difficiles du LHC.

En 1998, la préproduction était lancée en Russie dans l'usine de Bogoroditsk dans la région de Tula, au sud de Moscou. Ce site industriel militaire a ainsi été reconverti à des fins pacifiques dans le cadre d'un accord signé avec le CIST (Centre international pour la science et la technologie, voir Bulletin n° 48/99).

Un long travail de préparation et d'adaptation de la production a été mené durant plusieurs années afin d'accélérer la cadence de production et d'améliorer la qualité des cristaux. En particulier, les techniques de découpe aux dimensions requises et de polissage mises au point au CERN ont été transférées sur le site russe. La production s'est achevée à la cadence impressionnante de plus de 1200 cristaux par mois, avec un taux de rejet très inférieur à 1% . À ce site principal de production en Russie, s'est ajouté un second site en Chine, l'Institut de céramique de Shanghai, qui a produit 1825 cristaux tonneau depuis 2005.

Protégés dans des emballages spéciaux, les cristaux sont livrés au CERN, une moitié étant destiné au centre régional du CERN et l'autre à l'INFN/ENEA à La Cassacia, près de Rome. Pour tous ces cristaux, une politique très stricte de contrôle qualité a été mise en place, chaque site de production et chaque centre régional étant équipé d'une machine automatique mesurant systématiquement 67 paramètres sur chaque cristal.

Le tonneau du calorimètre électromagnétique compte 17 types de cristaux de formes différentes suivant leur positionnement dans le détecteur, tous de géométrie trapézoïdale et pesant 1,3kg. Leurs sept dimensions doivent être précises à 100 microns près. Chaque cristal est répertorié avec un code à barres et ses caractéristiques sont entrées dans une base de données qui permettra de cartographier tout le détecteur en tenant compte des réponses très légèrement différentes d'un cristal à l'autre. Au CERN et à l'INFN/ENEA, les équipes réalisent toutes les opérations d'assemblage. Une paire de photodiodes à avalanche (APD) est collée à l'une des extrémités du cristal. Les cristaux sont ensuite assemblés en sous-modules de 10 cristaux, eux-mêmes assemblés en modules de 40 ou 50 sous-modules. Les modules construits à Rome sont transportés au CERN où ils sont assemblés avec les modules construits sur place pour former les supermodules. Chaque supermodule contient ainsi 1700 cristaux.

Les derniers modules sont en cours d'assemblage à Rome et au CERN. Le 36e et ultime supermodule du tonneau devrait être terminé en avril. L'épilogue de l'histoire des cristaux de CMS n'est pour autant pas écrit puisque la production des cristaux pour les bouchons vient de démarrer. Ainsi, le centre régional CERN va poursuivre son travail de caractérisation des cristaux avec les quelque 15000 nécessaires à la fabrication des bouchons.

Le parcours des cristaux

La production des cristaux de tungstate de plomb de CMS démarre par leur croissance dans un four à une température de 1165°C. Les «carottes» de cristal ainsi obtenues sont très précisément coupées, puis polies et testées une première fois. Livrés au CERN et à l'INFN/ENEA de Rome, les cristaux subissent une batterie de tests d'acceptation (optique, mécanique, tenue aux radiations). Une paire de photodiodes à avalanche est ensuite collée sur l'une des faces du cristal qui sera assemblé dans les modules.

Le saviez-vous?

Les cristaux constituent le coeur du calorimètre électromagnétique de CMS. Lorsque les particules entreront en collision au centre du détecteur CMS, les électrons et photons incidents déposeront de l'énergie dans les cristaux, qui émettront une lumière de scintillation. La quantité de lumière produite est proportionnelle à l'énergie de la particule. Les photodétecteurs fixés sur chacun des cristaux détectent cette lumière et produisent un signal électrique qui lui est proportionnel.