AMS : un saut de puce avant le grand saut dans l’espace

Des pièces du Spectromètre d’antimatière (AMS) sont arrivées au CERN d’Italie et d’Allemagne pour y être équipées de leurs composants, puis testées, en vue du voyage d’AMS à destination de l’espace en 2009.

L’équipe qui a réalisé la pré-intégration du détecteur à rayonnement de transition (TRD).

La plupart des pièces livrées au CERN font, pour y parvenir, le voyage le plus risqué de leur existence et les physiciens sont impatients de les déballer pour vérifier au plus vite qu’elles ne sont pas endommagées. Mais celles que le Laboratoire a reçues la semaine dernière devraient être indemnes. Pour le détecteur à rayonnement de transition (TRD) et le détecteur à temps de vol (ToF) d’AMS, ce voyage n’est en effet qu’une petite étape et une simple formalité en comparaison du décollage à 3,5g qui les propulsera bientôt dans l’espace, leur destination finale.

Les détecteurs TRD et ToF, qui proviennent respectivement de l’Institut n°1 de physique de l’Université RWTH d’Aix-La-Chapelle en Allemagne et de la Section INFN (Institut national italien de physique nucléaire) de l’Université de Bologne en Italie, possèdent une foule de fonctionnalités leur permettant de s’adapter aux conditions uniques de l’espace. Par exemple, l’ensemble d’AMS n’a besoin que de 2 kW pour fonctionner, soit la puissance de 2 fers à repasser !

AMS prendra toute une série de mesures dans le but d’identifier la matière noire et l’antimatière formées il y a des milliards d’années, soit dans des « anti-étoiles », soit au moment du big-bang (lire « De la Terre à l’espace en passant par le CERN », Bulletin CERN n° 39-40), par opposition à l’antimatière formée à partir d’interactions observées sur Terre.

Les détecteurs ToF seront placés des deux côtés du trajectographe au silicium, qui a été construit principalement en Italie et en Suisse et qui est déjà en place. Ils ont pour mission de mesurer la vitesse, le sens de passage et la charge absolue des particules, et de déclencher les autres éléments pour qu’ils effectuent des mesures. « Les détecteurs ToF sont comme les yeux du spectromètre », explique Giuliano Laurenti, ingénieur chevronné de l’INFN et membre de l’équipe ToF. « Une particule est observée et mesurée par le reste de la machine seulement quand il y a coïncidence. Même dans l’espace, nous souhaitons filtrer un grand nombre de particules. » Les noyaux d’hélium se déplaçant vers le haut du spectromètre sont particulièrement gênants, car ils sui-vent la même trajectoire à travers l’aimant que les noyaux d’anti-hélium se déplaçant vers le bas. Le détecteur ToF, qui présente une résolution temporelle de 150 ps, est capable de détecter la trajectoire des particules, même à des vitesses extrêmement élevées, et, ainsi, de filtrer les faux signaux d’antimatière avec une précision supérieure à un sur dix milliards.

Les protons posent aussi problème, dans la mesure où ils ont la même charge que les positons et sont beaucoup plus nombreux dans les rayons cosmiques. Grâce à leurs comportements qui diffèrent au passage de la frontière entre les matériaux présentant différentes constantes diélectriques, le TRD fait la distinction entre les deux particules. « En franchissant cette frontière, les électrons ou les positons de haute énergie ont beaucoup plus de chances d’émettre des rayonnements que les protons, ce qui permet d’identifier les particules légères, explique Georg Schwering de l’équipe TRD. Lorsqu’on fait la synthèse des données de l’expérience, la probabilité qu’un proton soit confondu avec un positon est de un sur un million ».

En raison des conditions de fonctionnement du détecteur, les composants doivent être non seulement légers, mais aussi adaptés pour survivre au vide, aux vibrations et à des variations de température pouvant atteindre 60 °C, et cela sans maintenance. « En principe, nous ne pouvons rien faire tant que le détecteur est en haut, précise Schwering ; par conséquent, chaque élément de lecture et de commande intègre une fonction de redondance, de sorte que si une pièce est défectueuse, nous pouvons passer à une autre pièce, et ainsi de suite. L’ordinateur dispose lui-même de trois sauvegardes ».

On procède à présent à l’assemblage des deux pièces en les mettant en position de pré-intégration, puis on testera les composants et on les fixera sur l’aimant supraconducteur, qui sera livré au printemps prochain. À l’automne 2008, le détecteur complet sera assemblé, totalement intégré et systématiquement testé avant d’être transporté, début 2009, jusqu’au Centre spatial Kennedy, à bord d’un avion gros porteur. De là, il entreprendra une véritable expédition, qui le mènera dans le cosmos. La sinueuse route alpine entre Bologne et le CERN ne sera plus qu’un lointain souvenir.

Saviez-vous?

Le rayonnement de transition est produit par des particules chargées ultra-rapides lorsqu’elles franchissent la frontière entre des matériaux présentant des constantes diélectriques différentes. Comme le champ électrique d’une particule est différent dans chaque matériau, celle-ci doit « se débarrasser » de cette différence lorsqu’elle franchit la frontière. Plus la particule est rapide, plus elle émet de rayonnements ; les électrons et les positons étant légers, ils sont plus rapides que les autres particules ayant la même impulsion et, ainsi, émettent davantage de rayonnements de transition. Comme la quantité de rayonnements reste faible, on utilise un matelas de couches de fibres de 10 µm de diamètre pour multiplier les franchissements de frontières. Les trajectoires des photons et des particules sont détectées dans des pailles remplies de xénon et de dioxyde de carbone. Ces couches, au nombre de vingt, permettent au détecteur de retracer précisément la trajectoire de la particule et de distinguer les protons des positons avec une forte probabilité. Dans l’expérience ToF, les particules n’émettent pas elles-mêmes de rayonnements ; un matériau scintillateur solide absorbe leur énergie et la réémet sous la forme de photons, produisant une lumière d’intensité proportionnelle à l’énergie de chaque particule ; cette lumière, facilement détectable, peut alors être transmise le long de tubes photomultiplicateurs pour être amplifiée. L’intervalle de temps que met la particule pour passer d’un ToF à l’autre, et l’ordre dans lequel la particule est détectée, donnent la vitesse et le sens de passage de la particule.