Une stratégie d’ouverture

Après avoir passé, comme le veut l’usage, six mois aux côtés de la précédente Direction, Rolf-Dieter Heuer est devenu directeur général du CERN le 1er janvier 2009. Son mandat couvrira les premières années de l’exploitation du LHC ainsi que les premiers résultats scientifiques de la machine. Au moment de sa prise de fonction, il a accordé un long entretien au Bulletin.





Les six derniers mois auront été intenses pour notre Laboratoire ; ils ont été marqués par des moments extraordinaires et des déconvenues inattendues. Au vu des défis passés et à venir, des découvertes qui se profilent et des questions encore sans réponse, les années à venir s’annoncent particulièrement passionnantes pour la vie du Laboratoire et, plus généralement, pour la physique des particules. « Les résultats scientifiques qui seront obtenus au LHC auront une incidence énorme non seulement sur l’avenir du CERN, mais aussi, peut-être, sur celui de la physique des particules au niveau mondial, explique Rolf Heuer. Les indices que nous espérons obtenir grâce au LHC entre 2010 et 2012 nous indiqueront la marche à suivre. En ce qui concerne la physique avec accélérateur à la frontière des hautes énergies, deux options (le SLHC et le collisionneur linéaire) sont envisageables, les technologies et les stratégies restant à définir. » Le projet SLHC (Super LHC) consistera à relever la luminosité jusqu’à 1035 cm−2 s−1 grâce à une nouvelle chaîne de pré-accélérateurs.

« Pour l’heure, la priorité est de réparer la machine et d’installer des systèmes de protection qui empêcheront que ne se reproduisent des incidents comme celui du mois de septembre, poursuit Rolf Heuer. Il est certain que le LHC ne fonctionnera pas à 7 TeV cette année. Nous ne voulons pas chercher à tout prix à augmenter l’énergie avant qu’un système de protection supplémentaire ne soit installé. En revanche, nous ferons en sorte que les premières collisions aient lieu le plus tôt possible. Le calendrier exact du LHC sera examiné début février lors d’une réunion qui se déroulera à Chamonix, à laquelle participeront des responsables de la machine et des représentants des expériences. »

Même si le LHC est et demeure la priorité, le CERN a également une longue et riche tradition d’expérimentation avec cibles fixes. « Lorsque les ressources ont dû être recentrées sur le LHC, le programme avec cibles fixes a accusé le coup, indique Rolf Heuer. La nouvelle Direction aimerait étoffer ce programme au-delà de 2010, en particulier avec des expériences consacrées aux désintégrations rares. Mais les physiciens doivent aussi venir avec de nouvelles idées. On a besoin d’un peu de brainstorming sur le sujet. Nous nous adresserons bientôt à eux afin de voir ce qu’ils proposent, puis nous rechercherons des ressources afin de pouvoir réaliser des expériences atteignant l’excellence scientifique. »

Ces dernières années, le rôle du CERN s’est accentué au niveau mondial, en partie parce que le Conseil a endossé une nouvelle responsabilité : conduire la stratégie européenne pour la physique des particules. « Le CERN est le pilier européen de la physique des particules et j’aspire à faire de lui un laboratoire mondial, explique le Directeur général. Le paysage de la physique des particules est en train de changer ; nous vivons une sorte de « brisure de symétrie ». Avant, on construisait de grandes machines dans diverses régions du monde. Désormais, il n’y a qu’une seule grande machine. Et elle est au CERN. Qui dit grands projets dit temps et argent. C’est pourquoi il ne faut plus penser au niveau régional, mais plutôt au niveau mondial, sans négliger pour autant les projets régionaux et nationaux bien sûr. »

Compte tenu de la situation financière actuelle et des règles strictes de la Convention qui fixent les contributions des États membres au CERN, il n’est pas facile d’imaginer comment élargir les buts du Laboratoire, tout en maintenant les critères habituels d’excellence. À sa session de décembre, le Conseil a approuvé la création d’un groupe d’étude chargé d’examiner l’élargissement géographique et scientifique du CERN. Ce groupe se réunira pour la première fois début 2009. « C’est une phase où il nous faut être créatif et trouver de nouvelles manières de faire participer d’autres pays à nos projets scientifiques, ajoute le Directeur général. À cet effet, j’ai créé une nouvelle unité chargée des relations extérieures, qui a pour mandat de rechercher des formes de partenariat avec d’autres pays et laboratoires dans le monde entier. J’ai pour projet de faire du CERN l’un des grands acteurs d’une sorte de laboratoire mondial. Cela doit toutefois se faire en préservant l’existence de projets régionaux, sous peine de perdre des compétences. »

Tout partenariat est synonyme d’échange et le CERN devra améliorer le transfert de technologies et de connaissances vers les États membres et les autres partenaires concernés. « Le CERN est également un laboratoire technologique, la science fondamentale ne pouvant exister sans des technologies de pointe. Et c’est là une source importante de transfert vers l’industrie et vers la société. Selon moi, les retombées d’un tel transfert constituent l’objectif premier ; le deuxième étant les ressources supplémentaires qui pourraient éventuellement en découler. Là encore, nous constatons que le monde change. Transférer davantage de technologies et de connaissances vers nos pays partenaires nous aidera certainement à répondre à une question qui se pose à nous de plus en plus souvent : qu’est-ce que la science fondamentale ? Je tiens absolument à ce que le CERN prenne les devants en matière de transfert de technologies et de connaissances et c’est pourquoi le nouveau groupe de transfert de technologie et l’unité responsable des relations extérieures sont rattachés directement au directeur général. »

Évoquant la nouvelle structure interne, qui a été communiquée à l’ensemble du personnel par courrier électronique fin novembre, le Directeur général indique que l’une des priorités de la nouvelle Direction est de favoriser la mobilité interne. « La mobilité interne est une bonne chose car elle permet de faire tomber les barrières virtuelles entre départements et entre groupes. Elle permet d’échanger des compétences et contribue à accroître la motivation du personnel. »

Même si le directeur général n’est pas tout à fait un membre du personnel comme les autres, Rolf Heuer indique vouloir « réduire le plus possible la distance entre la Direction et le personnel. » « Je voudrais être présent sur le terrain le plus souvent possible. Tout dépendra de mes disponibilités mais j’aimerais au moins essayer car le contact direct est essentiel. »

Le succès du Laboratoire dans les années à venir reposera sur son personnel et la qua-lité des relations entre celui-ci et la nouvelle Direction. « Je tiens à préserver le professionnalisme et les compétences du personnel du CERN, et je veux aussi qu’il reste fortement motivé, explique notre nouveau directeur général. La nouvelle Direction a également l’intention d’avoir une communication ouverte, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La communication en interne est même plus importante et nous devons trouver une manière efficace de communiquer car c’est à nous et non à la presse d’informer le personnel. Et le Directeur général de conclure : « Je remercie mon prédécesseur et son équipe de ce qu’ils ont fait pour le CERN et je tiens à souligner le rôle important qu’ils ont joué pour que le LHC puisse produire ses premiers faisceaux. »

Le parcours de Rolf Heuer

Rolf-Dieter Heuer n’est pas étranger au CERN. Entre 1984 et 1998, il était membre du personnel du CERN, travaillant pour la collaboration OPAL sur le Grand collisionneur électron-positon (LEP). Il a été porte-parole de l’expérience de 1994 à 1998.

Il a consacré l’essentiel de sa carrière à la construction et à l’exploitation de grands systèmes de détecteurs pour l’étude des collisions électron-positon. Après son départ du CERN, en 1998, il obtient une chaire de professeur à l’Université de Hambourg. Il y crée un groupe chargé des travaux préparatoires pour des expériences susceptibles d’être menées avec un collisionneur linéaire électron-positon. En 2004, il devient directeur de recherche en physique des particules et en astrophysique des particules au laboratoire DESY. Il est responsable de la recherche sur l’accélérateur HERA, de la participation de DESY dans les expériences du LHC et de la recherche et du développement sur un futur collisionneur électron-positon.

Le professeur Heuer a été membre de nombreux comités scientifiques et organes consultatifs qui lui ont permis d’acquérir une solide expérience pour l’étude des projets ainsi que pour assurer l’évaluation et la promotion de membres du personnel. En tant que directeur de recherche de DESY, il a été à l’origine de la restructuration de la physique des particules en Allemagne et de son recentrage sur les domaines d’énergie inexplorés et, en particulier, sur les recherches sur le LHC.