Frédérick Bordry : Le LHC avant tout

Le nouveau département TE est focalisé sur la remise en marche du LHC. Un chantier qu’il mène tout en adaptant ses activités à la nouvelle ère d’exploitation qui s’ouvre avec le LHC.



On aurait pu rêver transition plus facile. Mais Frédérick Bordry n’a pas eu le temps de prendre son souffle. Sa nomination à la tête du nouveau département TE a été approuvée par le Conseil la veille du… 19 septembre, jour de l’incident dans le secteur 3-4 qui a stoppé net le LHC. Malgré le choc, comme toutes les personnes impliquées, Frédérick Bordry a fait face avec une formidable pugnacité. «C’est dans les moments de crise que l’on apprécie les personnes et tout le monde s’est uni pour repartir, souligne-t-il, je suis impressionné par l’implication du personnel à tous les niveaux.»

Tous les regards sont braqués sur le département TE qui est presque entièrement focalisé sur la remise en marche et la consolidation de l’accélérateur. Un effort considérable, avec un calendrier très serré, mais dont le succès ne fait aucun doute pour le nouveau chef de département. « Le démarrage du 10 septembre a prouvé que cette machine fonctionnait et qu’elle avait des bases solides, assure-t-il, mais nous n’avons pas le droit à l’erreur. C’est pourquoi nous prenons toutes les précautions pour résoudre tous les problèmes. L’outil de diagnostic que nous avons développé permet de renforcer nettement la sécurité de la machine, en détectant toute résistance anormale de l’ordre du nano-ohm.»

Le nouveau système de détection des transitions résistives, qui compte 6500 cartes électroniques à installer dans le tunnel, a fait l’objet d’un développement record. Le département a besoin de renfort pour l’implanter et va profiter de l’élan de solidarité dans le Laboratoire. «Des équipes du département PH vont nous aider pour tester les cartes électroniques, se félicite Frédérick Bordry, nous allons également recevoir l’aide de physiciens de PH pour analyser toutes les données issues des tests des aimants dans le SM18, avant leur installation. Nous avons constaté que ces données nous permettaient de retrouver des indices d’une résistance anormale.»

Cet immense effort se poursuit alors que le département TE se met en place, comptant 390 membres du personnel et de nouvelles équipes travaillant ensemble. «Notre mission est de fournir toutes les technologies spécifiques aux accélérateurs, mais également aux détecteurs, explique Frédérick Bordry, L’objet de cette restructuration est d’améliorer la communication, d’accroître la cohérence et de rééquilibrer les départements.»

En plus des groupes chargés des technologies spécifiques aux accélérateurs et aux détecteurs, Frédérick Bordry a tenu à créer un groupe chargé de la protection de la machine et de l’intégrité électrique. «Cette équipe doit vérifier l’intégrité et la fonctionnalité du système complet, explique Frédérick Bordry, au CERN, on est très fort pour concevoir un composant, mais on doit renforcer nos compétences sur les interfaces et les aspects système. C’est ce qu’a montré l’incident du 19 septembre.»

Les nouvelles équipes du département TE font par ailleurs face à une autre grande mutation : le passage de l’ère de la construction à la phase d’exploitation. « Au CERN, on a la chance de pouvoir suivre des technologies depuis la conception jusqu’à l’exploitation, explique Frédérick Bordry, les activités d’exploitation sont souvent considérées comme moins intéressantes que les développements purs. C’est à mon avis une idée erronée. Lors de l’exploitation, les équipes peuvent suivre les composants qu’elles ont développés, améliorer leur fiabilité et leurs performances. Cette expérience est également importante pour optimiser les développements futurs.»

Au-delà du département, le changement le plus important dans la structure du CERN, selon Frédérick Bordry, est le regroupement des trois départements techniques au sein d’un même secteur, sous la direction de Steve Myers, le Directeur des accélérateurs et de la technologie (A&T). «C’est un changement de philosophie, souligne-t-il, Nous travaillons ainsi en réelle coopération.» Deux comités au niveau du secteur prennent en effet les grandes décisions techniques: le comité de la machine LHC (LHC Machine Committee, LMC) et le comité des injecteurs du LHC et des installations expérimentales (LHC Injectors and Experimental facilities committee, IEFC). Tous les chefs de groupe des départements du secteur sont invités aux réunions de ces deux comités.

Si le LHC est la priorité absolue, le département est lancé dans bien d’autres projets dont la construction du Linac 4 et des nouveaux aimants de focalisation dans le cadre du projet sLHC, les études du futur collisionneur linéaire CLIC et celles du PS2 et du SPL, futurs remplaçants du PS et de l’injecteur du PS. TE a par ailleurs des projets de consolidation. Cet effort a pour l’instant essentiellement porté sur la réparation des aimants du PS et du SPS et les remplacements des convertisseurs de puissance dont le convertisseur principal du PS. «Mais l’infrastructure de base a été négligée», explique Frédérick Bordry. Par ailleurs, un programme de consolidation du LHC doit être mis en place. Le stock d’aimants et de pièces de rechange, utilisé en grande partie pour réparer le secteur 3-4, doit par exemple être reconstitué.

L’urgence du LHC, les mutations du département, les projets futurs n’ont pas entamé la jovialité de Frédérick Bordry. Il trouve même un peu de temps pour aller à la rencontre de ses équipes, le «walking management», comme il l’appelle. «J’aurais aimé avoir plus de temps pour rencontrer les gens, sourit-il, Mais depuis deux mois, il faut reconnaître que je suis en apnée.» Pas d’état d’âme pour autant. Frédérick Bordry aime à rappeler sa citation préférée, une phrase de Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Europe: «Je ne suis pas optimiste, je ne suis pas pessimiste, je suis déterminé».

Le parcours de Frédérick Bordry

Diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’électronique, d’électrotechnique, d’informatique et d’hydraulique de Toulouse, Docteur ingénieur et Docteur Es-sciences à l’Institut national polytechnique de Toulouse, Frédérick Bordry a d’abord travaillé dix ans comme enseignant et chercheur dans les deux instituts qui l’ont formé. En 1981, il est en particulier nommé maître de conférence à l’Institut national polytechnique. En 1986, il entre au CERN dans le groupe chargé des convertisseurs de puissance du LEP. Il rejoint en 1988 le groupe opération comme ingénieur en charge du SPS et du LEP. En 1994, année de l’approbation du LHC, il rejoint le groupe convertisseur comme responsable de la conception des convertisseurs de puissance pour le LHC. Il devient chef du groupe convertisseurs de puissance en 2002, poste qu’il a occupé jusqu’en décembre dernier. En 2008, il était par ailleurs chef adjoint du département Faisceaux et accélérateurs. Il est le chef du nouveau département Technologie depuis le 1er janvier 2009.