ISOLDE : des faisceaux au service de la biologie

Tout le monde sait que jouer avec du mercure ou manipuler du cadmium radioactif à main nue est dangereux. Mais comprendre comment ces métaux toxiques, ainsi que d’autres, interagissent avec les biomolécules de l’organisme, est un défi d’un autre ordre. Un tour de force auquel la collaboration IS488 à ISOLDE espère apporter une précieuse contribution.

 

Vue d’ensemble de la zone d’expérimentation d’ISOLDE.


Contrairement à la plupart des installations du complexe d’accélérateurs du CERN, ISOLDE n’est pas dédiée principalement à la physique des particules. En fait, elle produit des noyaux radioactifs lors de bombardements par protons pour étudier, entre autres, la chimie physique et la chimie biologique.

À ISOLDE, le faisceau de protons de 1,4 GeV du synchrotron injecteur du PS (PSB - l’un des premiers maillons du complexe d’accélérateurs du CERN) produit des réactions nucléaires dans une cible épaisse, créant ainsi une large gamme de noyaux radioactifs, qui sont séparés et triés selon leur masse pour être utilisés dans des expériences.
Dans le cas de la collaboration IS488, le faisceau d’ions est envoyé dans de la glace. « Nous implantons des ions métalliques radioactifs dans la glace, explique Monika Stachura, physicienne de l’Université de Copenhague, transportons celle-ci jusqu’à notre laboratoire de chimie, toujours au CERN, la laissons fondre et y ajoutons alors des protéines et autres solutions chimiques, comme des tampons pour contrôler le pH. Cette solution protéique est alors placée dans un instrument de corrélation angulaire perturbée gamma (PAC), qui nous permet d’observer comment, par exemple, les métaux toxiques altèrent la structure des protéines, entravant ainsi probablement le fonctionnement physiologique normal de ces biomolécules. »
Cet instrument est composé de six détecteurs qui enregistrent l'émission par les radioisotopes de deux rayons gamma coïncidents. Cette technique permet d’étudier la structure moléculaire autour de l’isotope.

Comme l’explique Monika, certains ions radioactifs ont la capacité de se substituer aux métaux présents dans les protéines biologiques. « Les ions radioactifs que nous utilisons dans notre expérience ont une forte affinité avec les sites de fixation de protéines occupés par des ions métalliques d’origine naturelle. Dans notre organisme, une protéine sur trois contient des ions métalliques qui sont essentiels à sa structure, à son bon fonctionnement et aux interactions biologiques dans lesquelles elle est impliquée. Il est donc possible d’étudier la fonction de ces biomolécules, pour autant qu’elles soient encore physiologiquement actives. »

À ce jour, la collaboration IS488 au CERN a étudié les effets produits par des isotopes du mercure, du plomb et du cadmium. Ses recherches apportent également des données expérimentales qui aident à comprendre la structure et la fonction des protéines, ainsi que de l’ADN et de l’ARN. L’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) a notamment envoyé au CERN des échantillons de métallothionéine afin d’étudier son rôle dans l’autoprotection biologique du corps humain et des plantes. « La métallothionéine est une protéine produite naturellement qui a entre autres pour fonction de chercher des ions métalliques toxiques dans un organisme vivant, de les trouver et de les fixer. Avec notre technique, nous pouvons même étudier des plantes entières in vivo », poursuit Monika.

Même si la collaboration se limite pour le moment à étudier un petit groupe d’isotopes, elle est à même de faire des extrapolations sur les principaux ions métalliques présents dans l'organisme, tels que le cuivre, le zinc et le magnésium, qui ne peuvent être étudiés directement avec la plupart des techniques spectroscopiques. Toutefois, un nouvel instrument de spectroscopie de résonance magnétique nucléaire avec détection β, impliquant l’utilisation d’émetteurs β, a été conçu par un membre de la collaboration IS488, Alexander Gottberg, de l’Université de Copenhague. Il pourrait permettre de rendre ces ions visibles et ainsi de vérifier ces extrapolations. Les premières expériences jamais réalisées avec cette technique sur de la biomatière sont prévues l’an prochain.

 

 

 


par Jordan Juras