Des muons pour sonder les volcans

Le projet MU-RAY vise un but captivant : obtenir une radiographie par muons du Vésuve (Italie) à l’aide d’un détecteur qui enregistre les muons venant le frapper après avoir traversé les parois rocheuses du volcan. Cette technique a été utilisée pour la première fois en 1971 par le prix Nobel de physique Luis Walter Alvarez pour rechercher des chambres funéraires cachées dans la pyramide de Khéphren.

 


Emplacement du détecteur de muons sur les pentes du volcan Vésuve.
Tout comme les rayons X utilisés pour radiographier le corps humain, la radiographie par muons donne une image de la structure interne de la partie supérieure des volcans. Si cette image ne permet malheureusement pas de prédire « quand » la prochaine éruption va se produire, elle peut, en revanche, en l’associant à d’autres moyens d’observation, aider à prédire « comment » l’éruption pourrait évoluer, ce qui fait de la radiographie par muons un précieux outil d’étude des structures géologiques.

Les muons sont issus des interactions des rayons cosmiques avec l’atmosphère terrestre. Ils sont capables de traverser plusieurs couches de roche de plus d’un kilomètre d’épaisseur. Durant leur parcours, ils sont partiellement absorbés par les milieux qu’ils traversent, à l’instar des rayons X qui sont partiellement absorbés par les os et d’autres éléments de notre corps. En bout de course, au lieu d’une plaque à rayons X classique, on utilise un « télescope à muons » : un détecteur spécifique placé sur les parois du volcan.

Comme pour la radiographie à rayons X ordinaire, une plus grande absorption des muons correspond à une densité plus élevée dans le volcan. Le flux de muons venant de la direction opposée peut être utilisé pour la normalisation.
[De H.K.M. Tanaka et al., Earth and Planetary Science Letters 263 (2007) 104]

« Cette technique a été mise au point au Japon par Hiroyuki Tanaka, de l’Université de Tokyo, et par ses collaborateurs, qui l’ont utilisée pour la première fois pour explorer les entrailles du volcan Asama. Ils ont maintenant rejoint notre collaboration », indique Paolo Strolin, porte-parole du projet MU-RAY et membre de l’Institut national italien de physique nucléaire (INFN) et de l’Université Federico II de Naples.

Distribution de la densité moyenne reconstruite au sommet du mont Asama au Japon.
[De H.K.M. Tanaka et al., Earth and Planetary Science Letters 263 (2007) 104]

Réaliser la tomographie par muons du Vésuve est une véritable prouesse technique, allant bien au-delà de tout ce qui s’est fait jusqu’ici dans le domaine. « La topographie du volcan est très complexe, notamment parce qu’il s’est formé dans le cratère d’un plus grand volcan, dont les vestiges forment aujourd’hui le « Mont Somma », explique Paolo Strolin. Les muons doivent traverser environ deux kilomètres de roche avant d’atteindre le détecteur situé de l’autre côté du volcan, et seuls les muons de très haute énergie en sont capables. « Comme étude préalable, nous utilisons le détecteur des japonais, même si leur volcan est bien moins massif que le Vésuve », ajoute Paolo Strolin.

En fait, plus la couche de roche est épaisse, plus la zone d’absorption du détecteur doit être grande, ceci afin de limiter la durée d’acquisition des données. « Nous mettons actuellement au point le prototype d’un nouveau détecteur, annonce Paolo Strolin. Ce nouveau système sera modulable de façon à pouvoir couvrir une surface intégrale de l’ordre de dix mètres carrés. Le détecteur disposera d’une bonne résolution angulaire et bénéficiera d’un rapport signal sur bruit de fond amélioré. » Le projet de R&D sur les « télescopes à muons » nouvelle génération est soutenu par l’INFN, l’Institut national italien de géophysique et volcanologie (INGV), le gouvernement italien et l’Université Federico II de Naples.



La collaboration MU-RAY rassemble des physiciens et des volcanologues des Universités de Florence, Naples, Pérouse et Tokyo, ainsi que de l’INFN, de l’Observatoire du Vésuve (rattaché à l’INGV), de Fermilab et du LAL d’Orsay. D’autres volcans sont étudiés à l’aide cette technique au Japon et dans les Petites Antilles.




Avec cet article, le Bulletin commence une nouvelle série ouvrant une fenêtre sur l'extérieur du CERN. Nous allons régulièrement faire le point sur les activités scientifiques en cours dans les États membres du CERN.

par Francesco Poppi