Quelle pension demain au CERN ?

En approuvant en décembre dernier un premier paquet de mesures visant à rétablir l’équilibre de notre Caisse de pensions, le Conseil du CERN a clairement pris ses responsabilités face à un déficit devenu abyssal : 1,7 milliard à fin 2010. Même si tout n’est pas résolu d’un coup de baguette magique — ce plan devra être appliqué pendant 30 ans pour remettre en équilibre notre Caisse — force est de constater qu’une étape majeure a enfin été franchie après de trop nombreuses années de tergiversations chez nos décideurs. Un autre mérite, et pas des moindres, est d’avoir obtenu un consensus — certes long à trouver — entre les différentes parties prenantes sur ce paquet : états membres, Direction, retraités et actifs actuels. Tous étaient également convenus qu’un second paquet devait être présenté en juin 2011, qui concernerait de nouvelles conditions pour les futurs membres du personnel1 et les mesures transitoires — sur l’adaptation annuelle des pensions uniquement — des futurs retraités2. Alors, où en est-on de ce second volet du dossier pensions ?

Pensions au CERN en 2010

Et d’abord, quels ont été les termes de l’accord trouvé à fin 2010 entre les trois parties représentées ?

  1. Une hausse du taux de cotisation (de 30,88% à 34%)
    répartie entre employé3 et employeur selon le ratio historique 1/3–2/3.
  2. Un gel de la pension du retraité4 tant que sa perte individuelle de pouvoir d’achat ne dépasse pas la limite supérieure de 8%.
  3. Un versement annuel complémentaire des employeurs (CERN : 60 MCHF, ESO : 3 MCHF) tant que la pleine capitalisation (full funding) de la Caisse n’est pas atteinte. 

S’il ne fait guère de doute que le troisième élément est à mettre en relation avec la responsabilité historique du Conseil dans ce dossier pensions, les montants annuels injectés visent une pleine capitalisation à un horizon de 20 voire 30 ans. Il faut aussi comprendre que l’effort exigé des retraités est comparable à celui demandé aux actifs. Et que les mesures transitoires évoquées plus haut poursuivent l’objectif d’un traitement équitable entre membres du personnel : plus un titulaire aurait cotisé au taux nouveau de 34%, moins sa pension serait gelée. Dit autrement, plus il aurait participé au rééquilibrage de la Caisse avec un taux de cotisation élevé, mieux sa pension serait indexée au coût de la vie à Genève. C’est là un objectif intelligible et nous l’avons soutenu dès le début parce qu’il permettait une transition douce, évitant le très fâcheux effet de seuil. Tout le contraire d’une décision prise en 1987 par le Conseil du CERN et ressentie comme une injustice, aujourd’hui encore, parmi les titulaires : suite à une proposition formulée en séance dudit Conseil, celui-ci avait décidé de porter de 60 à 65 ans, sans aucune mesure transitoire, l’âge officiel de pleine retraite ! Cette décision a laissé des traces et pour nous, la leçon a été apprise… Et ces prochaines semaines, nous redoublerons de vigilance durant l’élaboration des mesures transitoires relatives à l’adaptation annuelle des pensions des futurs retraités5.

Celles-ci devraient être approuvées en juin 2011, en même temps que de nouvelles conditions pour les futurs membres du personnel6. En 2010, ce dernier thème avait longtemps été un point d’achoppement de nos discussions avec la Direction et les états membres. Leurs propositions conduisaient en effet à doter le CERN du pire des systèmes de pensions à primauté de prestation des organisations internationales (OI). Bienheureusement, notre contre-proposition de l’automne avait débloqué la situation et nos instances avaient décidé de repousser les décisions de six mois en les mettant dans un second paquet. Et désormais le temps est compté et la concertation est encore très loin d’aboutir, ce qui est préoccupant. Nous n’acceptons pas l’injustice qui consiste à faire lourdement payer aux nouvelles générations le déficit actuel, lui-même héritage d’un passé laxiste. Mais pour mieux comprendre, examinons maintenant les éléments essentiels d’une Caisse de pensions.

Nouvelles conditions : sur quels paramètres agir ?

Nouvelle Caisse
La première question qui se pose est celle de la création d’une nouvelle Caisse pour les futurs recrutés. Cette idée a été rapidement abandonnée par le Conseil en raison du coût exorbitant de la remise en équilibre de notre Caisse actuelle qu’il faudrait alors fermer. Nos futurs collègues rejoindront donc notre propre Caisse de pensions et c’est là une nouvelle rassurante.

Prestation définie/Cotisation définie
Dans un système à prestation définie, le titulaire connaît le niveau de sa pension (par exemple, 2% de droits à pensions par année de service) sans connaître l’évolution du taux de cotisation qui lui sera appliqué tout au long de sa carrière. Dans un système à cotisation définie, c’est l’inverse, et tout le risque d’une pension insuffisante repose sur les épaules de l’employé : inacceptable pour nous !

Taux de cotisation
Dans un système à prestation définie, c’est le principal levier qui permet d’adapter les rentrées à l’évolution des engagements. Au CERN, le taux de cotisation est ainsi passé de 21% à 34% en trois décennies. Beaucoup estiment que l’on a désormais atteint les limites du soutenable…

Répartition employé/employeur du taux de cotisation
Un peu partout, le ratio historique se situe à 1/3–2/3. Depuis quelques temps, en portant ce ratio à 40%–60%, on observe ici et là une tendance au désengagement de l’employeur au détriment de l’employé. Au CERN, il est envisagé ce changement tout en abaissant le taux de cotisation de 34% à 28%. Ainsi, la participation de l’employeur serait réduite de 25% alors que celle de l’employé demeurerait inchangée !

Taux d’accumulation des droits à pension
Il correspond aux droits à pensions par année de service et s’élève au moins à 2% dans tous les systèmes examinés. Difficile d’admettre dans ces conditions que ce taux soit abaissé au CERN à 1,75% ! Et comment justifier de surcroit que les droits à pension de l’employé soient réduits quand sa cotisation ne l’est pas ?

Durée nécessaire pour atteindre la pension maximale
Fixée à 70% du dernier salaire dans tous les systèmes examinés, la pension maximale semble ne pas faire l’objet d’attaques. Mais la durée pour l’atteindre est inversement proportionnelle au taux d’accumulation cité plus haut. En abaissant ce taux, c’est donc la durée nécessaire pour atteindre la pension maximale qui est augmentée. Avec un taux de 2%, la durée est de 35 ans. Avec 1,75%, elle passerait à 40 ans. Recruté à l’âge moyen de 32 ans, le Cernois obtiendrait donc une pleine pension à 72 ans… Autant dire qu’il n’en verrait jamais la couleur et qu’il devrait se contenter d’une pension réduite…

Age limite
… parce que rien ne justifie que l’âge de la retraite au CERN soit relevé ! L’injuste décision de 1987 mentionnée plus haut a anticipé de plusieurs décennies l’évolution de l’âge limite constatée dans d’autres OI. Pourquoi relever de 65 à 67 ans cette limite au CERN alors que bien d’autres OI la situent autour de 63 ans? Pour être la seule OI à l’avoir fait ?

Facteurs de réduction de la pension pour départ anticipé
Les facteurs de réduction de la pension pour départ anticipé s’appliqueraient non plus avant 65 ans mais avant 67 ans, péjorant plus encore la situation des nouveaux recrutés !

Base de calcul de la pension
Et pour couronner le tout, il est également envisagé que le CERN fasse exception parmi les OI en calculant la pension non pas sur le dernier salaire mais sur la moyenne des salaires des cinq dernières années. Ce serait encore une médaille au palmarès de la médiocrité en matière de pensions pour notre Organisation !

Tous ces éléments constituent donc une attaque tous azimuts pour réduire considérablement le niveau des pensions au CERN. Et ce serait les jeunes, nos futurs collègues de bureau, qui paieraient ce lourd tribut. Inacceptable ! Surtout quand on regarde ce qu’a été l’évolution récente des systèmes de pensions des autres OI.

Evolution récente dans les organisations internationales

C’est en vue de proposer de nouvelles modalités de pensions que « …la Direction a déjà recueilli auprès des autres organisations internationales les données nécessaires… »7. En effet, quoi de plus logique pour une organisation internationale comme le CERN que de se concentrer sur les comparaisons avec ses pairs ? D’autant que les OI ne vivent pas sur une île isolée des réalités d’un monde en évolution: elles aussi ont connu une détérioration des conditions de pensions offertes aux employés.
C’est d’ailleurs ce que reflète le tableau8 ci-dessous qui présente les changements intervenus — sur les principaux éléments constitutifs d’une pension — dans le monde des OI depuis 2009.
 


* DB: Defined Benefits (Prestation définie) / DC: Defined Contributions (Cotisation définie).
** COL: Cost of living (Coût de la vie).
 

Quels enseignements tirer de cette comparaison ?

Tout d’abord que sur l’ensemble de ces éléments, les conditions actuellement offertes par le CERN sont inférieures, ou au mieux égales, à celles des autres OI, et ce, même si on les compare aux conditions introduites dernièrement dans les autres OI !

En d’autres termes, le CERN est déjà très moyennement compétitif. Rien ne justifie donc que les conditions qu’il offre actuellement soient péjorées davantage, sauf à vouloir réduire encore son attractivité sur le marché de l’emploi ! Ce serait tuer le CERN à petit feu en transigeant avec le niveau d’excellence de son personnel. Et à cela, nous nous opposerons.

Pourtant, tel que reflété dans la dernière ligne de ce tableau, c’est ce qu’il nous est proposé ! Et ce serait toutes les conditions de pension qui seraient systématiquement rabotées au détriment de l’employé et à l’avantage de l’employeur. Ce serait un véritable scandale, vu notamment ce que nos états membres ont accepté lors des réformes récentes opérées dans les autres OI, où deux ou trois conditions seulement ont été retouchées à chaque fois (sur fond noir dans le tableau).

La pension de demain est un enjeu majeur d’aujourd’hui !

Rappelons avant tout qu’un accord sur ce second paquet est nécessaire pour définitivement entériner le premier ! Pour autant, la vigilance est de mise au regard des enjeux même de ce second paquet. Rappelons-nous que, pour l’employé, la pension n’est rien d’autre qu’un salaire différé. Et parce qu’elle est délivrée dans la période de la vie où l’on est le plus fragile — la vieillesse —, elle est donc une condition d’emploi primordiale. En adoptant ce second paquet sur les pensions, le véritable enjeu pour le CERN, dans son rôle d’employeur, est donc de renforcer sa capacité à attirer les meilleurs candidats sur le marché très concurrentiel de l’emploi afin de maintenir à court, moyen et long terme le niveau d’excellence de son personnel. C’est à ce prix que notre Organisation aura de véritables chances de maintenir son rang scientifique et à la pointe de la technologie. Déjà l’an passé, la révision quinquennale avait révélé la faiblesse des salaires au CERN, ne péjorons donc pas davantage une attractivité déjà très critique. N’acceptons pas d’être une fois encore moins bien traités que l’ensemble des autres organisations internationales. Assez pour le CERN d’être considéré comme une organisation internationale de seconde zone ! Dans ce dossier pensions, en définitive, c’est de l’avenir de notre Organisation qu’il est question. Un sujet hautement mobilisateur.

 


1. Actif recruté à partir du 1/1/2012.
2. Personnel prenant sa retraite à partir du 1/1/2012.
3. Actif recruté au 31/12/2011 au plus tard.
4. Bénéficiaire d’une pension au 31/12/2011 au plus tard.
5. Personnel prenant sa retraite à partir du 1/1/2012.
6. Staff Actifs recrutés à partir du 1/1/2012.
7. Proposal Proposition de la Direction concernant un train de mesures visant à rétablir la pleine capitalisation de la Caisse de pensions du CERN (CERN/FC/5498 – CERN/2947 – déc.2010).
8. Tableau établi grâce à la collaboration d’associations du personnel d’autres organisations internationales.
 

 

par Staff Association