Recherche sans budget, Europe sans avenir
Développements récents
Les négociations à Bruxelles début février 2013 pour définir le budget à long terme 2014 − 2020 de l'Union européenne (UE) pourrait résulter en une perte significative pour le programme de recherche européen Horizon 2020. Il s’agirait pour le programme de recherche de l'UE d’une diminution en partant déjà de la basse proposition de 80 milliards d’euros de la Commission fin 2012 à 69 milliards d’euros (une diminution de presque 12 %, voire beaucoup plus si on considère que le Parlement européen avait proposé initialement un budget de 100 milliards d’euros pour Horizon 2020). Gardons néanmoins un espoir que ce ne soit pas le « dernier mot » sur le financement Horizon 2020 et que le Parlement européen, qui co-décide du budget avec le Conseil européen, qui réunit les chefs de gouvernement et tend plutôt à promouvoir les intérêts nationaux, allégera un peu cette forte perte de fonds pour la recherche. En effet, le Parlement est en général plus favorable aux politiques de recherche européennes. En particulier, le président du Parlement, Martin Schulz, a rejeté les décisions du Conseil en matière de recherche et déclaré que le parlement était «extrêmement sceptique» d'un budget qui préfère consolider le passé plutôt que de regarder vers l'avenir, en éliminant plus ou moins tout ce qui concerne l'innovation.
Le lobbying par la communauté scientifique, qui n’a pas été un grande succès jusqu’à présent, doit dont continuer en l’intensifiant, surtout auprès des membres du Parlement européen.
L'article qui suit est une traduction de l'article publié dans Echo n°163 du 3 décembre 2012.
Dans l’édition spéciale du Proton, publié à l’occasion du 50e anniversaire du CERN en septembre 2004, nous insistions sur le rôle du CERN comme pionnier et modèle pour les autres institutions de recherche européennes et nous soulignions la nécessité de coordonner la politique européenne de la science pour créer des synergies entre les différents laboratoires. Les pays de l’Union européenne (UE), reconnaissant l’importance de mettre en commun leurs ressources dans la recherche fondamentale, ont créé l’espace européen de la recherche comme objectif européen figurant dans le traité constitutionnel de l’Union européenne, signé à Lisbonne en 2000. En 2007, ils ont mis en place le Conseil européen de la recherche (CER)1 doté d’un budget initial de 7,5 milliards d’euros pour la période 2007 − 2013.
Des discussions budgétaires sont en cours au siège de l’UE à Bruxelles afin de trouver un accord sur le budget global de l'UE pour la période 2014 − 2020. Compte tenu des mesures d'austérité imposées dans leurs budgets nationaux, il y a une forte pression de plusieurs gouvernements de l'UE pour réduire également de façon draconienne le budget global de l'UE. Une concurrence féroce entre les différents secteurs se partageant ce budget est à craindre. Il existe une réelle possibilité que le budget de la recherche soit plus sévèrement coupé que celui des autres secteurs (12 % ayant été mentionné). C'est pourquoi les utilisateurs et les employés des instituts de recherche européens doivent, tous ensemble, faire entendre leur voix.
Au CERN, nous savons tout des coupes budgétaires...
Les situations de crise, lors desquelles les budgets de la recherche sont menacés, n’ont rien de nouveau pour nous. Rappelez-vous qu’en 1994 le Conseil du CERN avait décidé de réduire le budget de l’Organisation de près de 10 %. C’était à l’époque de l’approbation du LHC, et l’Association du personnel avait clairement indiqué que nous ne pouvions pas être d’accord avec les conditions budgétaires irréalistes imposées au CERN et une pétition avait été signée par de nombreux collègues. À plusieurs autres occasions, nous avons exprimé notre désaccord avec les coupes budgétaires et avons organisé une campagne de signatures d’une pétition auprès du personnel du CERN, par exemple en mars 2002 et 2007.
Manifestation, novembre 1994 | |
Manifestation, mars 2002 | Rassemblement du personnel, mars 2007 |
Plus récemment, en juin 2010, face à la forte pression des États membres dans le Comité des finances pour réduire le budget de 2011 et le plan à moyen terme (MTP) du CERN pour 2012 − 2015, le président de l'Association du personnel a adressé une lettre à tous les ministres dans les vingt États membres concernés par le CERN et son financement, ainsi qu’à tous les délégués du Comité des finances et du Conseil. Cette lettre soulignait l'importance de défendre la recherche fondamentale en Europe. Le 25 août 2010, jour d'une réunion spéciale du Comité des finances pour discuter dudit MTP, nous avons organisé un rassemblement du personnel et avons invité les participants à signer la pétition "Recherche sans budget = Europe sans avenir". La presse locale et internationale était présente, et nous avons également reçu le soutien des syndicats français et suisses, ainsi que des associations du personnel d'autres laboratoires scientifiques européens. L'ESA (Agence spatiale européenne), GSI (Centre de recherche sur les ions lourds de Darmstadt, Allemagne) et l’ILL-ESRF (Institut Laue-Langevin et installation européenne de rayonnement synchrotron, Grenoble, France) ont envoyé un représentant. L'EMBL (Laboratoire européen de biologie moléculaire, Heidelberg, Allemagne), l’ESO (Organisation européenne de l'espace, Munich, Allemagne) et ITER (réacteur expérimental à fusion thermonucléaire, Cadarache, France) ont envoyé des lettres de soutien. Le rassemblement a été largement couvert par la presse écrite et audiovisuelle, et une contribution filmée a été mise à la disposition d'Eurovision pour diffusion, dont certaines parties ont été utilisées par plusieurs chaînes d'information européennes.
25 août 2010: réunion du personnel et signature d’une pétition pour soutenir la recherche fondamentale |
Les discussions actuelles du budget européen
Lors du sommet européen des 22 et 23 novembre 2012, les chefs de gouvernement européens se sont réunis pour discuter du budget global de l'Union européenne pour la période 2014 − 2020 (proposition de la Commission : 1033 milliards d'euros). En tenant compte des mesures d'austérité qu'ils devaient introduire chez eux, plusieurs pays ont considéré ce budget trop élevé et, bien que M. van Rompuy, président de l'Union européenne ait proposé lors du sommet une baisse de 5,9 %2 sur le budget total de l'UE par rapport à la proposition de la Commission, aucun accord n’a pu être conclu. Les discussions se poursuivront en 2013. Il semble donc que des réductions aient déjà été imposées sur le profil des dépenses prévu à l'horizon 2020 (80 milliards d'euros pour 2014 − 2020), en particulier dans le budget de la recherche scientifique, qui paie pour les installations, la formation postdoctorale et les jeunes chercheurs qui créent de nouveaux laboratoires. Dans ce contexte, les directeurs de certains des principaux organismes de recherche dans le monde ont fait savoir que les coupes dans le budget de la science de l'UE menaceront la reprise économique de la région, en ce sens qu'une diminution du financement de la science minerait la formation de base pour les jeunes chercheurs et frapperait de grands projets d'infrastructure essentiels pour la science européenne. Les hauts responsables des huit plus grands organismes de recherche en Europe, y compris l'ESA et le CERN, ont indiqué que « au moment où un retour à la croissance est la plus pressante des priorités politiques dans toute l'Europe, il est absolument vital que l'investissement dans nos ressources scientifiques – tant humaines que techniques – soit soutenu. »
Rolf Heuer, directeur général du CERN, dans un entretien avec le Guardian a ajouté3 : « La science permet de sortir de la récession, couper les budgets de la science n'est donc certainement pas la voie à suivre. En période de récession, il incombe au secteur public de soutenir la science fondamentale, en veillant à ce qu’il reste de la science à appliquer dans l’industrie. Nous ne cessons d’entendre que l'Europe manque de chercheurs et d’ingénieurs qualifiés, le déficit se montant à des dizaines de milliers de diplômés chaque année. Si tel est le cas en période de récession, imaginez quelle sera la pénurie avec la reprise économique. Couper les budgets scientifiques cause non seulement des dommages à la science à court terme, mais cela transmet aussi un message négatif aux jeunes qui pourraient être les scientifiques et ingénieurs de demain. Ce serait une grave erreur. »
Le 15 novembre 2012, une délégation menée par des prix Nobel a rencontré les trois présidents de l'UE, les invitant à sécuriser le futur budget de la recherche et l'innovation : Horizon 2020. Ils leur ont remis une lettre ouverte, signée par 44 prix Nobel et 6 médaillés Fields, mettant en garde contre les conséquences dramatiques d’éventuelles coupes budgétaires dans la recherche et l'innovation. La délégation a également attiré leur attention sur la pétition « No cuts on research » en faveur de cette cause (voir ci-dessous).
La lettre ouverte4, rédigée à l’initiative des membres du Conseil européen de la recherche (CER), souligne qu’ « il est essentiel que nous soutenions et, plus important encore, inspirions d'une manière paneuropéenne l'extraordinaire richesse de la recherche et l'innovation potentielles qui existent partout en Europe » et prévient qu’« en cas de coupes sévères du budget de l'UE pour la recherche et l'innovation nous risquons de perdre une génération de chercheurs talentueux au moment même où l'Europe en a le plus besoin. »
Signez la pétition
S'appuyant sur la lettre ouverte, de jeunes chercheurs de diverses disciplines scientifiques ont lancé une pétition5, coordonnée par l'Initiative pour la Science en Europe (ISE)6 et Young Academy of Europe (YAE)7, demandant aux dirigeants de l'UE de ne pas réduire le budget de la recherche. En quelques heures, des milliers de citoyens d’Europe et du monde entier l’avaient signé et à ce jour, ils sont plus de 150 000. La pétition sera remise aux trois présidents de l'Union européenne.
Comme indiqué ci-dessus, compte tenu de l'intention de plusieurs gouvernements de l'UE de réduire considérablement le budget global de l'UE pour la période 2014 − 2020 une concurrence féroce entre les différents secteurs se partageant ce budget est à craindre. Il existe une possibilité réelle que le budget de la recherche subisse, proportionnellement, des coupes beaucoup plus sévères que les autres secteurs. Le CERN est également concerné car l'Organisation bénéficie chaque année de plusieurs millions de francs suisses grâce à des projets européens dans plusieurs domaines, tels que les accélérateurs, les détecteurs, l’informatique, et les programmes Marie Curie.
C'est pourquoi il est important que le plus grand nombre de membres du personnel actif dans la recherche fasse entendre leur voix, en particulier en signant la pétition en question, ce que l'Association du personnel vous invite à faire de tout cœur. La pétition peut être signée à l'adresse : http://www.no-cuts-on-research.eu.
1Le CER (http://erc.europa.eu/) a été créé en 2007 par l'Union européenne. Son objectif est de stimuler l'excellence scientifique en Europe en encourageant la concurrence pour le financement entre les meilleurs chercheurs de toutes nationalités et tous âges établis dans l'UE. Depuis sa création, il a financé plus de 3 000 chercheurs et leurs projets de recherche exploratoire et est devenue une « référence » pour la compétitivité des systèmes nationaux de recherche en complétant les systèmes de financement existants sur le plan national et européen. Le CER fonctionne à l’« initiative de chercheurs », ou approche « ascendante », ce qui permet aux chercheurs d'identifier de nouvelles opportunités dans tous les domaines de la recherche (sciences physiques et ingénierie, sciences de la vie et sciences sociales et humaines).
2 Cette coupe de 5,9 % dans le budget total de l’UE comprenait une réduction disproportionnée de 12 % dans le budget de la recherche, l’innovation et l’éducation, voir http://www.no-cuts-on-research.eu/docs/analysisEUbudget23Nov.pdf.
3 Voir http://www.guardian.co.uk/science/2012/nov/23/europe-warned-science-budget-cuts.
4 Texte de la lettre ouverte : http://www.no-cuts-on-research.eu/nobel/EN_letter_Nobel.pdf.
5 Texte de la pétition : http://www.no-cuts-on-research.eu/index.php?file=petition.htm.
6 L’ISE (http://www.initiative-science-europe.org/) est une plateforme indépendante de sociétés savantes et organisations scientifiques européennes. Son objectif est de promouvoir des mécanismes pour soutenir tous les domaines de la science à l'échelle européenne, en impliquant des scientifiques dans la conception et la mise en œuvre des politiques scientifiques européennes et de préconiser des avis scientifiques indépendants dans l'élaboration des politiques européennes.
7 YAE (http://www.yacadeuro.org/index.htm) est une nouvelle initiative paneuropéenne lancée par d’éminents jeunes scientifiques. Son objectif est de créer une plateforme de réseautage, d’échange scientifique et de politique scientifique. YAE a soutenu la lettre ouverte dans un communiqué exprimant leurs inquiétudes concernant les réductions imminentes du budget de la recherche et a mis en garde contre les conséquences négatives à long terme sur la prospérité économique, sociale et intellectuelle de l'Europe.
Texte de la pétition (original anglais)
Petition for the attention of the EU Heads of State or GovernmentA top priority for Europe: secure the EU research and innovation budget!We* are convinced that
Therefore, we strongly support the letter signed by Nobel Prize and Fields Medal winners and urge you to act:
*The original statement was: "we, the researchers in Europe". However, it is not only the research community who is concerned about the current developments. Cuts in research affect the society as a whole. Without modification of the content of the petition text, we therefore enlarged the scope and we welcome the support of all concerned citizens. |
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Horizon 2020
*Les montants budgétés indiqués ici peuvent être considérablement réduits dans les discussions budgétaires en cours sur le budget global de l'UE. |