Rencontre avec une philosophe des particules

Quels modèles de physique au-delà du Modèle standard les physiciens privilégient-ils et pourquoi ? Comment leur position évolue-t-elle avec le temps, notamment au vu des résultats du LHC ? Voilà quelques-unes des questions posées par la philosophe Arianna Borrelli lors de sa récente présentation : « A philosophical experiment: empirical study of knowledge production at the LHC » (Étude empirique de la production de connaissances au LHC : une expérience philosophique).

 

Arianna Borrelli, physicienne devenue philosophe, a entrepris d'étudier les interactions entre théorie et expérience au CERN, ainsi que la manière dont les avancées scientifiques influent sur la position des physiciens. Au lieu de s’appuyer sur des données recueillies « après coup », la philosophe a directement observé les physiciens du CERN à l’œuvre pendant la première période d’exploitation du LHC.

En 2011, dans un premier temps, elle a interrogé des théoriciens et des expérimentateurs du CERN, soit de vive voix, soit au moyen d’un questionnaire en ligne. Un an plus tard, elle a recommencé l’exercice. Seulement, entre-temps, la particule aux caractéristiques compatibles avec celles du boson de Higgs avait été découverte. Les résultats préliminaires de cette étude ont été présentés pour la première fois au CERN lors d’un colloque qui s’est tenu le 14 février ; les physiciens du CERN qui avaient participé à la fois à l’étude et aux recherches en rapport avec celle-ci étaient dans le public.

Arianna Borrelli a mené des entretiens avec des expérimentateurs et des théoriciens de renom, notamment Fabiola Gianotti, Guido Tonelli, John Ellis et Michelangelo Mangano. Parmi les expérimentateurs interrogés, elle a noté une tendance à rester « neutre » vis-à-vis des différents modèles de physique, ainsi qu’une nette préférence pour des recherches indépendantes de tout modèle. Du côté des théoriciens, une inclination pour certains modèles a été affichée, mais davantage « en tant qu’outils d’exploration que comme pistes sérieuses ».

En parallèle, le questionnaire en ligne a permis d’obtenir plus largement le point de vue de la communauté de la physique des hautes énergies. Plus de 1 400 personnes ont répondu à la première enquête et plus de 900 à la deuxième. Bien qu’Arianna Borrelli ait indiqué que les résultats de ce questionnaire ne sont pas « statistiquement significatifs » (personne ne sachant vraiment à quoi devrait ressembler un groupe de physiciens des hautes énergies « statistiquement représentatif »), ceux-ci permettent néanmoins d’établir une « cartographie » des différentes positions adoptées. Les conclusions préliminaires de la philosophe montrent que, même si l’attachement à certains modèles au-delà du Modèle standard semble s’être globalement étiolé depuis la découverte de la particule de type Higgs, les personnes ayant répondu au questionnaire continuent de penser qu’il est important d’investir dans les recherches sur la nouvelle physique.

Pour en savoir plus sur les résultats de cette étude, y compris sur la manière dont les théoriciens et les expérimentateurs se perçoivent les uns les autres, consultez la présentation d’Arianna Borrelli (disponible dans son intégralité ici).

par Katarina Anthony