Poussière d’archives

Le mot « archives » évoque immédiatement une image de vieux dossiers, livres et papiers poussiéreux.  Mais voilà, quand vos archives sont numériques, la poussière devient votre ennemie. Un capteur d’ambiance innovant, conçu et construit par un informaticien du CERN, est devenu un élément essentiel de la stratégie de préservation des données du Laboratoire.

 

Le nouveau capteur d’ambiance conçu par Julien Leduc du CERN. Il peut mesurer la quantité de particules de poussière contenues dans l’air.

Les archives du CERN contiennent plus de 130 pétaoctets de données issues d’expériences de physique des hautes énergies passées et présentes. Certaines de ces données ont 40 ans, la plupart doivent être conservées indéfiniment, et l’ensemble est enregistré sur bandes magnétiques (plus de 20 000 cassettes).

Les cassettes sont conservées dans des bibliothèques spéciales, équipées de systèmes robotisés qui les transfèrent dans des unités de lecture-écriture. Les cassettes ont de grands avantages par rapport à d’autres supports, en particulier leur faible coût et leur fiabilité à long terme, mais leur principal inconvénient est leur vulnérabilité à la contamination par les particules de poussière contenues dans l’air. La moindre poussière sur le mécanisme d’entraînement, les bobines ou les têtes de lecture peut provoquer des éraflures ou des déchirures dans la bande au moment où elle est installée ou déroulée par le système d’entraînement. Sachant que les surfaces contenant les « bits » sont plus petites que des bactéries ou que les particules émises par un pot d’échappement de véhicule, les dommages provoqués par la poussière peuvent détruire des quantités importantes de données.

Après un incident mineur survenu récemment, où des supports magnétiques ont été éraflés et percés, trouver une solution technique permettant de surveiller la présence de particules dans l’air est devenu une priorité.  Les systèmes de capteurs d’ambiance disponibles dans le commerce coûtent généralement autour de 3 000 euros (plus des coûts de maintenance conséquents), mais ils sont plus adaptés aux laboratoires pharmaceutiques, ou à des salles semi-blanches servant à la fabrication, qu’à un centre de calcul, où il y a une grande circulation d’air, en raison de la nécessaire climatisation et des ventilateurs présents à l’intérieur des ordinateurs. C’est pourquoi Julien Leduc, du département IT du CERN, a conçu et construit un capteur d’ambiance spécialement adapté. « C’est une solution très simple à un problème très fréquent, explique Julien Leduc. Sur la base d’un ordinateur Raspberry Pi et d’une électronique Arduino reliée à plusieurs capteurs électroniques de variables environnementales brutes, le dispositif, appelé DCES (Data Centre Environmental Sensor), est placé dans un des emplacements destinés à accueillir les bandes, à l’intérieur de la bibliothèque de bandes, et effectue un prélèvement de l’air à raison de 100 fois toutes les 2,5 secondes. Il peut mesurer la production de particules de petite taille, ou la présence de particules plus grandes, ainsi que la température, l’humidité et les flux d’air. »

Le premier de ces dispositifs a été installé au Centre de calcul du CERN en août 2015 et constitue déjà un élément essentiel de la stratégie de préservation des données du département IT. Au cours du processus de développement du DCES, Julien Leduc a mis au point une version portative qui peut être prêtée à toute personne souhaitant travailler à l’intérieur du Centre de calcul. 

Le dispositif est simple, robuste, ne nécessite aucune maintenance régulière et est totalement intégré aux autres systèmes de contrôle opérationnel présents dans le centre, si bien que, lorsque le capteur détecte un problème, un signal d’alarme est reçu par l’équipe technique, qui peut alors décider de la conduite à tenir. Mieux encore, le coût total de cet équipement est inférieur à 100 euros.

Le modèle est disponible en libre accès (voir http://www.ohwr.org/projects/dces-dtrhf-ser1ch-v1/wiki). C’est ainsi que d’autres centres de calcul sont en train d’installer des dispositifs semblables.

par Stephanie Hills