Un bijou de technologie pour les futurs détecteurs de neutrinos

Des technologies novatrices destinées à la prochaine génération de détecteurs de neutrinos sont actuellement testées par le projet WA105 de la plateforme neutrino du CERN.

 

Mise en place du cryostat de WA105. (Image : Maximilien Brice/ CERN)

Des activités très diverses ont lieu dans le cadre de la plateforme neutrino du CERN, dans une atmosphère effervescente. Parallèlement à la rénovation d’ICARUS, un autre projet avance à grands pas vers sa finalisation : WA105. Malgré son nom banal, la technologie utilisée pour ce prototype est inédite.

WA105, dont l’assemblage au CERN a désormais bien avancé, est un prototype de démonstration d’une chambre à projection temporelle remplie d’argon liquide double phase (DLAr-TPC), mesurant 3 x 1 x 1 mètres et pesant 25 tonnes. Ce dispositif a été conçu dans le but de résoudre les problèmes technologiques auxquels sera confrontée la prochaine génération de détecteurs de neutrinos, dont les dimensions doivent être gigantesques pour permettre d’étudier minutieusement le phénomène des oscillations des neutrinos. DUNE (Deep Underground Neutrino Experiment), nouveau grand projet international d’expérience neutrino souterraine, sera ainsi composé de quatre détecteurs de ce type, chacun mesurant approximativement 60 x 12 x 12 mètres, c’est-à-dire 50 fois la taille d’ICARUS.

La technologie double phase a été développée par le groupement européen LAGUNA-LBNO, qui a bénéficié des travaux de R&D menés par l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) pendant plus de dix ans. Une chambre à argon liquide double phase (DLAr) comprend une zone d’argon gazeux au-dessus de la zone d’argon liquide habituelle. Les électrons issus du processus d’ionisation dérivent à travers le volume du détecteur, et sont accélérés par un fort champ électrique qui les dirige vers la zone gazeuse située dans la partie supérieure du cryostat. Là, de grands multiplicateurs d’électrons (LEM) amplifient le signal d’un facteur 20 environ (c’est-à-dire que, pour chaque électron arrivant, 20 électrons sont produits), tandis qu’un plan anodique multicouche recueille les particules chargées et permet de reconstituer l’événement en trois dimensions. Ce type de détecteur présente plusieurs avantages techniques par rapport au type de détecteurs utilisé par ICARUS, à savoir des chambres à projection temporelle remplies d’argon liquide d’une seule phase : les électrons peuvent être déviés sur une plus longue distance, la chambre résiste bien aux sources de bruit électronique de l’environnement, et la reconstitution tridimensionnelle de l’événement est plus efficace car les signaux de la charge amplifiée peuvent être partagés entre deux surfaces de recueil de charge indépendantes.

L’autre défi, en matière d’ingénierie, était lié aux cryostats de la prochaine génération de détecteurs géants de neutrinos. La solution est venue de la technologie utilisée dans les cargos transportant du gaz naturel liquéfié. Le CERN collabore avec l’entreprise française Gaztransport & Technigaz (GTT), qui détient le brevet d’un système de contention semblable à une membrane, dans lequel deux enveloppes cryogéniques contiennent et isolent le chargement de gaz naturel liquéfié. Ce système a l’avantage d’être modulaire et de pouvoir être assemblé de manière à accueillir un volume important.

« Pour le système cryogénique, nous avons aussi bénéficié du savoir-faire existant de longue date au CERN dans ce domaine, et de l’étroite collaboration entre les équipes chargées de la cryogénie au CERN et au Fermilab, explique André Rubbia, porte-parole du projet WA105 et co-porte-parole de la collaboration DUNE. Pour que la chambre à projection temporelle puisse fonctionner correctement et faire dériver les électrons sur de longues distances, l’argon liquide doit avoir un degré de pureté extrême, d’un niveau supérieur à 0,1 partie par milliard. La membrane du cryostat est essentielle pour isoler le volume et le protéger de la pénétration de l’air ambiant, et un système de purification cryogénique efficace est nécessaire pour empêcher la contamination à partir de matériaux internes. »

Le prototype de démonstration WA105 a récemment été placé dans le cryostat, et il est prévu qu’il soit prêt à fonctionner en octobre 2016. Il s’agira d’une étape très importante pour cette chambre DLAr-TPC, le dispositif n’ayant jusqu’ici été testé que sur des prototypes contenant jusqu’à 250 litres. La prochaine étape consistera à tester pour DUNE un prototype plus grand (300 tonnes) avec des systèmes d’ingénierie à échelle réelle, dans l’annexe de l’installation de test EHN1 actuellement en construction dans la zone Nord du CERN.

« Après dix ans d’efforts de R&D, la plateforme neutrino du CERN joue un rôle extrêmement important, souligne André Rubbia. Elle a permis d’accélérer les activités, notamment en attirant la main-d’œuvre nécessaire et, en fin de compte, a permis de passer du stade de la R&D en laboratoire à celui de la production à échelle industrielle, une étape nécessaire pour la prochaine génération d'expériences neutrino longue distance. »

par Stefania Pandolfi