L'art de préparer le vide

Interface entre les détecteurs et l'accélérateur, les chambres à vide ou tubes de faisceaux des expériences sont des composants critiques du futur LHC. Dans ce domaine, une importante étape vient d'être franchie pour les expériences ALICE et CMS. L'une des deux chambres à vide «bouchon» de CMS a été terminée tandis que 18 mètres de chambre à vide d'ALICE étaient également terminés et étuvés. Ces projets complexes, placés sous la responsabilité du groupe AT/VAC au CERN, ont impliqué pendant plusieurs années des dizaines de personnes.

Une chambre à vide de haute précision pour CMS


L'une des deux chambres à vide bouchon de CMS, un élément conique de 7,5 mètres de long, est terminé. Ce tube usiné et assemblé avec une extrême précision est le fruit d'un long travail de développement.


Une partie de l'équipe impliquée dans la conception et la production de la chambre à vide «bouchon» de CMS pose derrière le segment terminé. De gauche à droite : Thierry Tardy (TS/MME), Luigi Leggiero (TS/MME), Patrick Lepeule (AT/VAC), Gérard Faber (ETH Zürich), Stefano Bongiovani (Chef de projet pour CINEL), Giuseppe Foffano (TS/MME) et Marc Thiebert (TS/MME).

La chambre à vide de CMS prend forme au bâtiment 112. A la fin de l'année dernière, l'une des deux chambres à vide bouchon («end cap»), un segment conique de 7,5 mètres de long, était fin prête. Ce segment, qui constitue le plus grand élément des chambres à vide pour les expériences, est le fruit d'un partenariat entre le CERN, l'Université de technologie de Cracovie en Pologne, et l'entreprise italienne CINEL. «Cette chambre à vide a été l'objet de 15 années de travail depuis les premières discussions», explique Patrick Lepeule, l'ingénieur en charge du projet pour le groupe AT/VAC.

Interface entre l'accélérateur et le détecteur, la chambre à vide ou tube de faisceau est au coeur des expériences et doit intégrer les contraintes parfois contradictoires des physiciens expérimentateurs et des physiciens des accélérateurs. Les premiers exigent une chambre la plus rectiligne et transparente possible, pour qu'aucune des particules produites lors de la collision n'échappe à leur détecteur. Les seconds demandent une chambre ne présentant aucune fuite, très fiable et résistante, avec une conductibilité électrique maximale. La chambre est aussi soumise à un vide extrêmement poussé pour que le faisceau n'interagisse pas avec des particules parasites. La taille des expériences du LHC rend la tâche encore plus complexe. «L'enceinte à vide pour CMS mesure dans son ensemble 42 mètres de long, remarque Patrick Lepeule, c'est environ 8 fois plus long que les chambres à vide des expériences du LEP.»

Au coeur de l'expérience, le béryllium est le métal idéal pour la chambre à vide : il est 20 fois plus transparent aux particules que l'acier, 50% plus rigide et n'a que 25% de sa densité (voir Bulletin n°5/2005). Toutefois, il est très délicat à usiner, doit être manipulé avec soin et est très coûteux. C'est pourquoi il n'est utilisé que sur une petite portion, 6 mètres pour CMS.

Les parties de la chambre à vide bouchon de CMS, de part et d'autre du segment en béryllium, sont réalisées dans un inox optimisé, qui présente une susceptibilité magnétique très faible pour perturber le moins possible le champ magnétique de l'expérience.

Au point de collision, le diamètre de la chambre est très petit, 58 millimètres, pour s'agrandir de part et d'autre jusqu'à 310 millimètres à chaque extrémité. Cette forme conique doit permettre la détection des particules diffusées à très petits angles. La détection de ces particules est d'ailleurs l'objectif spécifique des expériences CASTOR et TOTEM, intégrées dans CMS.

La paroi du tube doit de surcroît être la plus mince possible pour que les particules produites ne soient pas arrêtées: l'épaisseur, qui augmente avec le diamètre de la chambre, est comprise entre 1,3 et 2,8 millimètres seulement. Enfin, la chambre doit être parfaitement rectiligne, avec une précision d'alignement inférieure à 0,3 millimètre sur les 7,5 mètres de longueur !

La conception et l'optimisation de cette chambre ont été réalisées grâce à la technique de simulation par éléments finis en collaboration avec l'Université de technologie de Cracovie. La production des dix segments qui composent chaque chambre à vide bouchon a été confiée à CINEL, une entreprise italienne spécialisée dans l'usinage de précision. Les segments ont été usinés directement à partir d'ébauches de blocs d'inox de 4 tonnes au total pour assurer une parfaite homogénéité du matériau. Ils ont ensuite été assemblés au CERN grâce à la technique de soudure par faisceau d'électrons sous vide par le groupe TS/MME, expert dans cette technique. Les éléments ont également reçu un dépôt de cuivre interne. Ils doivent désormais subir un test d'étanchéité et un étuvage au bâti-ment 927 avant de recevoir un dépôt de matériau NEG (Non Evaporable Getter) qui assure un vide poussé en opération.

L'assemblage de la deuxième chambre à vide bouchon de CMS est terminé tandis que la partie centrale en béryllium est en cours d'assemblage aux Etats-Unis.

Ça chauffe pour ALICE

L'assemblage complet et l'étuvage des tubes à vide de l'absorbeur conique d'ALICE viennent tout juste d'être achevés avec succès. L'étuvage consiste à chauffer les tubes à vide de l'extérieur afin d'améliorer la qualité du vide. Cette opération sera répétée régulièrement pour obtenir et conserver la faible pression requise pour une exploitation optimale d'ALICE et du LHC.


Un bon exemple de coopération : quelques-uns des 70 participants au projet posent devant l'absorbeur d'ALICE qui contient le tube à vide. Six départements du CERN et six entreprises sous-traitantes ont contribué à la conception, à la fabrication et aux essais de cette chambre à vide.

L'étuvage sera l'un des sujets brûlants dont s'occuperont les techniciens du vide du CERN ces 18 prochains mois. Certaines parties du système de vide du LHC seront à la température ambiante, soit au total 6 km, et pour l'essentiel seront revêtues à l'intérieur de getter non évaporable (NEG) ou pompe NEG. Ce matériau devient actif à environ 250 °C et piège les gaz par adsorption sur les parois du tube à vide, améliorant ainsi le vide. L'obtention d'un vide poussé est particulièrement cruciale là où les faisceaux LHC traverseront les expériences, car la présence de gaz résiduels dans le tube à vide produit un bruit de fond nuisible pour les détecteurs très sensibles.

Au terme de ces essais pour ALICE, un vide statique de moins de 10-9 Pa a été obtenu.

L'opération a été plutôt ardue. Pas moins de 70 personnes y ont contribué au CERN, depuis la conception jusqu'aux derniers essais de cette section conique du tube à vide de 18 m de long (composée de plusieurs segments). Une fois définis dans le principe les paramètres répondant aux besoins de l'expérience et de la machine en matière de vide, il restait à établir des plans détaillés des tubes à vide, des supports, de l'outillage d'installation et des équipements de manutention. Pour lancer la fabrication, il a fallu trouver un acier inoxydable compatible avec les spécifications magnétiques et du vide. La fabrication des tubes à vide coniques s'est révélée difficile. Même pour une entreprise expérimentée, respecter les tolérances mécaniques et réaliser des soudures étanches à l'ultravide relevait du défi ! Des tests de réception stricts ont permis de s'assurer que les étapes d'assemblage ultérieures se dérouleraient sans problème.

L'intérieur des tubes à vide doit être cuivré pour réduire l'impédance électrique vue par le faisceau. Un procédé spécial de cuivrage par électrodéposition a été mis au point au CERN. Un chauffage à 300°C a permis de vérifier l'absence de défauts : les gaz s'échappant de la surface durant ce test ont été analysés pour déceler d'éventuelles poches cachées entre la couche de cuivre et l'acier inoxydable du tube à vide.

Pour laisser plus d'espace à l'expérience ALICE, le tube à vide a été coiffé d'une feuille mince de chauffage spécialement développée au CERN, puis d'une isolation thermique très performante, une céramique en poudre, afin de réduire la diffusion de chaleur vers l'expérience pendant l'étuvage. Dernière étape de la fabrication, le dépôt du NEG à l'intérieur des tubes a été réalisé à l'aide d'un aimant solénoïdal de 8 m de long, construit au CERN pour tapisser de NEG les chambres à vide du LHC.

L'installation et l'assemblage des tubes à vide dans l'absorbeur de 90 tonnes ont posé un véritable défi aux équipes de transport et de manutention. Les tubes à vide coniques, aussi fragiles que lourds, ont dû être intégrés dans l'absorbeur avec seulement quelques millimètres de marge. Les géomètres du CERN étaient là pour surveiller l'alignement correct des tubes. Le dernier test en surface a été réalisé avec succès au bâtiment SX2, qui abrite ALICE. Le système mécanique et le système d'étuvage ont fonctionné comme prévu et, bonne nouvelle pour les physiciens de la machine et des expériences, ont permis d'abaisser la pression résiduelle finale à moins de 10-9 Pa.

En résumé, il faut beaucoup de monde et un bon esprit d'équipe pour créer rien - ou plutôt le vide d'excellente qualité requis pour les faisceaux du LHC et la physique avec ALICE. Au cours des prochaines semaines, l'ensemble sera démonté et descendu jusqu'à sa destination finale : la caverne d'ALICE.


L'un des tubes à vide de l'absorbeur d'ALICE, fin prêt pour la descente dans le solénoïde où il sera recouvert de NEG.