Jean-Marie Dufour 1937-2007

Photo prise par Rudiger Voss dans la bibliothèque du Service juridique

Jean-Marie Dufour, Conseiller juridique du CERN de 1974 jusqu’à sa retraite en 2001, est décédé le 8 juillet dernier.

Pour nous, ses collègues du Service juridique, Jean-Marie était un tuteur et une référence. Il nous a transmis sa passion pour la pratique du droit dans une institution intergouvernementale. Il était aussi un chef dont l’une des caractéristiques managériales était son indéfectible loyauté à l’égard de ses collaborateurs.

Arrivé au CERN en 1966, Jean-Marie a été pendant 35 ans le garant des règles du Laboratoire.

Voici comment il voyait l’Organisation : « ...j’y ai découvert [au CERN] un univers passionnant, mû par un double stimulant : celui de la science et de l’Europe ; un monde de physiciens, d’ingénieurs animant un Laboratoire remarquable, encouragé par les États de l’Europe, où se réalisaient la réconciliation entre Européens, la restauration de la grande tradition de la physique européenne et qui attirait les physiciens du monde entier. Un Laboratoire qui transcendait non seulement les frontières de la connaissance mais aussi celles d’ensembles politiques réputés fermés et peu accessibles. »

Cet extrait du discours prononcé par Jean-Marie en 2001, lors de la cérémonie de remise de sa Légion d’honneur, résume bien sa philosophie. Dévoué au CERN et fervent défenseur de la cause européenne, Jean-Marie a toujours privilégié une approche globale, juridique, scientifique et politique, face aux problèmes auxquels l’Organisation était confrontée.

Jean-Marie est arrivé au Service juridique dans une phase cruciale d’expansion de l’Organisation. Les activités scientifiques du CERN, comme la réalisation des anneaux de stockage à intersections, demandaient alors une extension du site vers la France. Le CERN devenait ainsi la seule organisation internationale au monde dont le site est conjointement établi sur deux États hôtes, ce qui soulevait de nombreuses questions relatives au droit applicable sur le nouveau domaine, pour les entreprises notamment mais aussi en matière de fiscalité et de sécurité. Peu après débutait la construction du Supersynchroton à Protons (SPS), nécessitant, en 1971, la révision complète de la Convention constitutive du CERN. De même, la construction du LEP dans les années 1980 a entraîné de nombreux défis juridiques, que Jean-Marie a bien évidemment relevés avec sa sagesse, sa créativité et sa ténacité habituelles.

Durant la même période, Jean-Marie a joué un rôle déterminant dans l’adhésion de nouveaux États membres et le lancement de la politique en faveur de la participation des États non membres aux activités de l’Organisation, domaine qui lui a permis de démontrer, s’il en était besoin, ses remarquables talents d’internationaliste.

Jean-Marie avait une mémoire phénoménale qui lui permettait de rappeler aux délégués au Conseil des décisions prises par leurs prédécesseurs ou quelque règle oubliée de tous, applicable au cas d’espèce. Il adorait jouer avec la Convention constitutive du CERN pour y trouver la solution optimale, apprenant ainsi à ses jeunes collègues que nous étions à explorer les richesses cachées de ce document important.

Mais Jean-Marie ne se contentait pas de connaître par cœur les dispositions de la Convention. Il pouvait aussi réciter de longs passages en prose ou en vers, en français, en allemand et en anglais, talent rare que l’on tend à associer plutôt aux générations précédentes. Il avait également une passion pour le piano ; il en jouait lors des fêtes du service, entouré de tous ses collègues qui chantaient avec lui. C’étaient de grands moments pour lui et pour son équipe.

Sa porte était toujours ouverte et il encourageait la discussion. Peu importait l’âge de son interlocuteur, il était toujours prêt à écouter les avis de chacun. Pourtant, deux fois par jour, sa porte était bel et bien fermée : le matin, quand, arrivé en tenue de cycliste, il revêtait son costume de juriste, et le soir - généralement quand tout le monde était déjà parti - pour se changer à nouveau avant d’enfourcher son vélo pour rejoindre son Moulin qu’il aimait tant, à Prévessin. Plusieurs fois, entrant dans le bâtiment en tenue sportive le matin, il s’est entendu demander où se trouvait le bureau du Conseiller juridique... avant d’accueillir un peu plus tard, dans un costume plus conventionnel, le visiteur étonné !

Après avoir pris sa retraite, Jean-Marie a participé à divers titres à la vie publique à Genève. Il attachait une importance toute particulière à son travail en tant que président du RUIG, organisation visant à promouvoir les liens entre le monde universitaire et les institutions internationales à Genève. Il venait nous voir régulièrement, toujours prêt à donner des conseils si nous le sollicitions ou à en recevoir si c’était lui qui nous consultait, un peu comme un père attentif mais jamais paternaliste.

C’est au cours d’un voyage à Bruxelles, à l’automne dernier, alors qu’il venait présenter à la Commission européenne ses idées sur le cadre juridique adapté à une nouvelle infrastructure de recherche européenne, que Jean-Marie a ressenti les premiers symptômes de la maladie qui devait l’emporter l’année suivante. Il a lutté pendant six mois contre cette maladie avec dignité, se remettant entre les mains de Dieu.

L’image de Jean-Marie, assis à son piano, quelques jours avant sa mort, restera gravée dans nos mémoires. Elégant comme toujours, ses mains fatiguées posées sur le clavier, les yeux fermés, il paraissait dresser le bilan de sa vie - un moment d’une grande beauté.

Toute son équipe, et l’Organisation dans son ensemble, lui doivent beaucoup.

Qu’il repose en paix.

Les amis de Jean-Marie du Service juridique