Le cœur d’OPERA entre en scène
OPERA, l’expérience exploitant le faisceau de neutrinos de l’installation CNGS du CERN, a délivré ses premières « photos » de neutrinos. Le cœur du détecteur a été mis en service et a livré des images d’événements issus de collisions de neutrinos.
Le cliché est minuscule, mais il a été accueilli avec enthousiasme par les physiciens d’OPERA. Le 2 octobre, l’expérience du laboratoire de Gran Sasso en Italie « photographiait » pour la première fois un événement issu du faisceau de neutrinos envoyé par l’installation CNGS du CERN, située à 732 kilomètres de là. L’une des 60 000 briques photosensibles déjà installées dans le cœur de l’expérience délivrait sa première trace.
La mise en service de l’expérience OPERA a démarré l’an passé avec les dispositifs électroniques du détecteur. 300 événements issus de neutrinos ont pu être détectés lors de cette première phase (voir Bulletin n° 33-34/2006). Mais la collaboration, qui compte quelque 170 physiciens dans 35 instituts du monde entier, attendait avec impatience l’entrée en scène du cœur de l’expérience, un mille-feuille de plaques de plomb et d’émulsion nucléaire. Cette partie centrale sera dotée à terme de 150 000 briques, mesurant chacune 10 x 13 x 7,5 cm3 et pesant 8,3 kilos. Le plomb agit comme une masse cible avec laquelle les neutrinos interagissent. Les feuilles d’émulsions jouent le rôle de trajectographes de haute précision. Elles fournissent des images des traces des particules chargées avec une précision de l’ordre de quelques micromètres et une résolution angulaire d’environ 2 milliradians ! Ainsi, les physiciens pourront reconnaître la topologie particulière d’une désintégration du tau produite lors de l’interaction entre le neutrino du tau et le plomb.
Les physiciens d’OPERA sont en effet en quête de cette saveur particulière des neutrinos. Il existe trois types ou « saveur » de neutrinos. Des expériences récentes ont montré que les neutrinos se transformaient ou « oscillaient » d’une saveur à une autre. OPERA doit mettre en évidence de manière directe cette transformation de saveur. Le faisceau de neutrinos envoyé par l’installation CNGS est constitué exclusivement de neutrinos muoniques. Parmi les 100 millions de milliards de neutrinos envoyés chaque jour du CERN, la détection de neutrinos du tau constituerait l’observation directe de l’oscillation tant recherchée.
L’événement du 2 octobre a été suivi par plusieurs autres les jours suivants. Les briques dans lesquelles se produisent des événements sont localisées et extraites grâce à un robot. Elles sont distribuées dans les divers centres d’analyse de la collaboration et analysées à l’aide d’un microscope spécifique capable de « lire » ces images et de mesurer les caractéristiques physiques.
La technique d’émulsion nucléaire utilisée par OPERA constitue un retour aux sources de la physique des particules, mais avec la précision du 21e siècle. Dans les années 30, plusieurs équipes en Europe tentèrent de développer cette technique pour enregistrer des particules à haute énergie. Des émulsions photographiques étaient utilisées depuis longtemps en physique (Henri Becquerel découvrit la radioactivité en 1896 avec une technique photographique), mais elles n’étaient pas sensibles à des particules chargées, isolées, et circulant à haute vitesse. En 1946, le physicien britannique Cecil Powell et son équipe améliorèrent le procédé, augmentant considérablement la sensibilité de l’émulsion. En 1947, plusieurs plaques dotées de cette nouvelle émulsion furent exposées aux rayons cosmiques à haute altitude, notamment dans un avion de la Royal Air Force ou sur le Pic du Midi. L’existence du pion fut ainsi mise en évidence. Cecil Powell reçut le Prix Nobel de physique en 1950 pour le développement de cette méthode ayant mené à la découverte du pion.
Voir également la lettre de Donald Perkins, un pionnier de cette technique, dans le CERN Courier :
http://cerncourier.com/cws/article/cern/29015/5