Un aimant nomade en croisière vers le Japon

Conçu pour le détecteur UA1, puis utilisé par l’expérience NOMAD, un aimant du CERN vient de prendre la mer pour une nouvelle vie au Japon. Retour sur cette aventure terrestre et maritime hors gabarit. Regardez la vidéo à la fin de l'article !


Transporter un aimant de près de mille tonnes (l’équivalent de quatre Boeing 747 chargés), depuis la Suisse jusqu’au Japon, n’est pas une affaire à prendre à la légère. De mémoire de transitaire, on fait rarement voyager ce type de « marchandise ». Même pour le CERN, rôdé aux convois exceptionnels depuis le démantèlement du LEP (avec de multiples envois aux quatre coins du monde), il s’agit bien de l’une des plus grandes expéditions jamais organisées sur une telle distance !

Une partie des pièces de l’aimant a déjà été embarquée depuis le port d’Anvers, sur ce porte-conteneurs, à destination de Pusan en Corée-du-Sud puis du port d’entrée d’Hitachinaka, au Japon. (Copyright: Marion & Helge Barth)

Devant les bobines de l’aimant, André Rubbia, responsable du projet aimant (au centre de la photo), entouré d’une partie des équipes de logistique et de transport du CERN ayant travaillé près d’une année sur ce projet, dont Patrick Muffat, logisticien du département FI/LS (premier en bas à droite).

Au cours de la deuxième quinzaine de janvier, 35 conteneurs ont déjà quitté le site de Meyrin avec, à leur bord, 150 pièces détachées.

Suite à une demande des collaborateurs européens impliqués dans l’expérience internationale neutrino T2K au Japon, le CERN avait décidé en 2005 de céder en l’état l’ancien aimant d’UA1, avec ses bobines et son équipement, d’une valeur totale de 6 millions de francs suisses, à son homologue japonais KEK (voir l’encadré).

Construit en 1979 pour l’expérience qui avait valu le prix Nobel au professeur Carlo Rubbia, cet équipement avait déjà connu une deuxième vie avec l’expérience NOMAD sur les neutrinos, jusqu’à l’arrêt définitif de celle-ci. Depuis, il était resté entreposé à ciel ouvert sur le site de Prévessin, soumis aux caprices du temps.

Plus de sept années ont passé avant qu’on ne vienne le chercher pour une nouvelle aventure. Et quelle aventure ! Toutes les pièces ont été nettoyées, polies, repeintes et refaites à neuf pour une nouvelle vie qui les attend au Japon.

« La difficulté majeure résidait dans le fait que les pièces n’étaient évidemment pas toutes transportables entières, en particulier par voie maritime. Il a fallu démonter une bonne partie du matériel pour pouvoir le loger dans des conteneurs. C’était un vrai jeu de mécano » raconte Patrick Muffat, logisticien du département FI/LS chargé d’organiser le transport depuis le CERN.

« Nous devions trouver des conteneurs aux mesures très spécifiques sur les ports européens et déterminer un itinéraire adapté aux différentes réglementations de transport et de douanes propres à chaque pays traversé ».

Les travaux de remise en état et de préparation pour l’expédition ont duré près d’une année. « Sans le précieux soutien technique et logistique du CERN, il aurait été bien difficile d’organiser ce transport », reconnaît André Rubbia, professeur à l’EPF de Zurich et responsable du projet aimant.

Dans le hall du bâtiment 185, les 150 pièces ont été minutieusement emballées, calées et mises en conteneurs. Depuis le 14 janvier dernier, 35 conteneurs maritimes ont pu entamer progressivement leur long voyage vers l’Empire du soleil levant, à 60 Km au nord de Tokyo. Partis sur des camions, puis par voie de chemin de fer depuis la Praille, les conteneurs ont gagné le port d’Anvers où ils sont actuellement embarqués à bord de bateaux porte-conteneurs, à destination de Pusan, en Corée-du-Sud, avant de voguer vers le port d’entrée d’Hitachinaka, au Japon.

Reste toujours au CERN la partie la plus volumineuse de l’aimant : les quatre bobines extrêmement fragiles. Du haut de ses 4,75 mètres, cet énorme cadre d’aluminium hors gabarit pèse près de 40 tonnes. Le travail de calage et d’arrimage de telles masses est crucial. Il doit impérativement répondre aux multiples contraintes des différents modes de transport combinés. Les bobines seront transportées en deux pièces de 1,70 mètres de large. Elles pourront prendre le départ, à leur tour, au début du mois de mars, en convoi exceptionnel. Elles seront acheminées par camion jusqu’à Bâle, avant de naviguer en barge jusqu’à Rotterdam et d’être embarquées par bateau pour le Japon.

Regardez le reportage vidéo !

Une nouvelle vie à J-Parc

Une fois arrivé à bon port, l’aimant sera remonté sur le nouveau site de J-PARC, à Tokaï, à 60 kilomètres au nord de Tokyo. Il servira au projet de la collaboration internationale T2K (Tokaï to Kamiokande). Regroupant 350 physiciens dont 150 Européens (Allemands, Anglais, Espagnols, Français, Italiens, Polonais et Suisses), cette expérience reconnue par le CERN utilisera l’aimant pour ses nouvelles recherches sur l’oscillation des neutrinos, dès l’automne 2009. À l’instar de l’expérience CNGS-OPERA reliant le CERN au laboratoire de Gran Sasso en Italie, les accélérateurs de J-PARC enverront des protons de 40 GeV sur une cible pour produire un faisceau intense de neutrinos de basse énergie depuis Tokaï, en direction du détecteur SuperKamioKande, 300 km plus loin. L’objectif de T2K est d’obtenir le faisceau de neutrinos le plus puissant au monde, le Superbeam. Les physiciens pensent aujourd’hui que le phénomène d’oscillation des neutrinos pourrait dépendre de trois angles de mélange et d’un nouveau terme de violation de symétrie CP. Ce nouveau type de violation pourrait avoir joué un rôle important dans l’asymétrie matière antimatière observable aujourd’hui dans l’Univers. Or, jusqu’à présent, seuls les deux premiers angles ont pu être mesurés de façon précise. L’expérience T2K va tenter de déterminer ce troisième angle de mélange. « C’est une étape extrêmement importante pour les physiciens des neutrinos. La détermination de cet angle nous permettrait d’ouvrir une nouvelle porte à la connaissance sur la violation de la matière et de l’antimatière au niveau des neutrinos », précise André Rubbia.