Nouveaux morceaux de l’Univers

Univers parallèles, nouvelles formes de matière, dimensions supplémentaires … Il n’est pas question ici de vulgaire science-fiction, mais de théories de physique bien réelles que les scientifiques s’efforcent de confirmer avec le LHC et d’autres expériences. Même s’il y a là de quoi donner envie de s’évader dans un monde parallèle le temps d’un week-end, il nous faut garder les pieds sur Terre et tenter de comprendre de quoi il en retourne exactement.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, 96% de l’Univers nous est en fait inconnu. On peut dès lors l’imaginer rempli de toutes sortes de choses étranges et exotiques. Il est effectivement possible que les dimensions supplémentaires et les univers parallèles soient une réalité. En d’autres termes, leur existence est acceptée par un grand nombre de scientifiques, qui ont élaboré des modèles mathématiques et défini des contraintes physiques. « Kaluza et Klein ont été les premiers à avancer l’hypothèse d’une cinquième dimension, au début du siècle dernier ; il s’agissait d’une tentative d’unification entre gravité et électromagnétisme, explique Ignatios Antoniadis, du groupe Théorie du CERN. Pour ma part, je me suis penché sur la question des dimensions supplémentaires dans les années 90, lors que je travaillais à l’École Polytechnique de Paris. »

Aujourd’hui, nous savons que derrière les dimensions supplémentaires pourraient se cacher de nouvelles formes de matière et d’énergie, ainsi que des particules longtemps recherchées, mais qui n’ont encore jamais été observées, comme le graviton ou les constituants de la matière noire. Malheureusement, en l’état de leurs connaissances sur la nature, les scientifiques ne peuvent pas prédire le nombre exact de dimensions supplémentaires possibles. Certaines modèles théoriques n’admettent qu'une, voire deux dimensions supplémentaires, en plus des quatre dans lesquelles nous vivons (trois pour l’espace, plus le temps, selon la théorie de la relativité d’Einstein), tandis que d’autres théories, appelées théories des cordes, vont jusqu’à prédire l’existence de six dimensions supplémentaires, et même plus. « Toutes les théories actuelles qui modélisent les dimensions supplémentaires se valent et doivent être éprouvées par des expériences », poursuit Antoniadis.

Les scientifiques pensent qu’il pourrait exister deux catégories de dimensions supplémentaires : une dans laquelle la lumière peut se propager (catégorie dite électromagnétique), et une autre dans laquelle la lumière ne peut pas se propager et avec laquelle il n’est possible d’interagir que de manière gravitationnelle (catégorie dite gravitationnelle). La catégorie « électromagnétique » serait partie intégrante de notre Univers, la nature des interactions et le comportement de la lumière restant identiques. Dès lors, les univers parallèles ne pourraient exister que dans les dimensions supplémentaires de type « gravitationnel », où les photons ne peuvent pas se propager.

Un point commun toutefois à ces deux catégories de dimensions supplémentaires : il doit s’agir de dimensions finies et petites. Dans le cas contraire, elles auraient déjà été observées. « Plus une dimension supplémentaire est petite, plus l’énergie requise pour l'explorer doit être élevée, explique Antoniadis. Les dimensions supplémentaires de type gravitationnel pourraient être beaucoup plus grandes (jusqu’à près de 1 mm). Si nous ne parvenons pas à les déceler, ce pourrait être parce que les instruments que nous utilisons pour nos expériences ne peuvent interagir avec ces dimensions que par la gravitation, une force très faible à l'échelle des particules qui existent dans nos dimensions. »

Le LHC produit des collisions de particules à 7 TeV, une énergie très élevée, qui sera même portée jusqu’à 14 TeV après la longue période d’arrêt de la machine, prévue en 2012. À une telle énergie, les particules pourraient entrer dans ces dimensions supplémentaires, interagir et revenir dans nos dimensions pour traverser un détecteur et y laisser une trace qui contiendrait des informations sur ce voyage. « Les deux catégories de dimensions supplémentaires sont susceptibles d’être explorées par les expériences LHC », poursuit Antoniadis. Les collisions proton-proton à haute énergie pourraient produire des gravitons qui se déplaceraient non seulement dans nos dimensions, mais aussi dans d’autres. Dans les dimensions supplémentaires de type gravitationnel, la force de la gravitation serait beaucoup plus grande que dans nos dimensions ; le graviton disparaîtrait donc probablement de nos dimensions pour rester dans les autres. On relèverait donc une disparition d’énergie, celle portée par les gravitons « fuyards », dans les détecteurs. Cette énergie manquante serait associée à d’autres caractéristiques et informations spécifiques qui signeraient sans ambiguïté le graviton « fuyard ». Quant aux dimensions supplémentaires de type électromagnétique, elles pourraient être explorées de manière encore plus directe car les particules peuvent y pénétrer de manière fugace, en laissant dans nos détecteurs un signal qui apporterait directement la preuve de leur existence. »

Pour la première fois, les expériences LHC collectent des données à des énergies susceptibles de permettre aux scientifiques d'explorer des dimensions supplémentaires. Toutefois, avant de réserver notre billet pour un voyage dans l’univers parallèle le plus proche, attendons encore quelques années que l’analyse des données nous fournisse des résultats probants !

 

par CERN Bulletin