Fondations pour l'avenir

En ce dernier numéro du Bulletin pour 2010, un dernier message du Directeur général pour clore une année que l’on peut qualifier d’exceptionnelle. J’aimerais à cette occasion vous faire part de quelques réflexions sur l’importance, pour le CERN, et pour la science en général, de l’excellent fonctionnement du LHC. Si les résultats scientifiques sont remarquables, c’est de l’héritage politique que laissera cette première année d’exploitation du LHC que j’aimerais vous parler.

 

Lorsque l’économie tourne au ralenti, comme c’est le cas actuellement, la science fondamentale est sous pression car les gouvernements préfèrent miser sur les sciences appliquées. Ce n’est qu’à long terme que la science fondamentale peut aboutir à des applications commerciales, pense-t-on généralement. Mieux vaut donc se concentrer sur les sciences appliquées. Cette logique a ses mérites, mais ce n’est pas la panacée pour l’économie. Il faut avoir une approche globalement équilibrée, en s’intéressant aussi bien à la recherche fondamentale qu’à recherche appliquée ; il faut tirer parti de la puissance des nouveaux médias pour garantir un accès libre à la connaissance et, aussi, encourager l’interdisciplinarité. Au CERN, cela se fait tout naturellement.

Il me semble que c’est précisément dans des moments comme ceux que nous traversons que les gouvernements doivent réaffirmer leur engagement en faveur de la science fondamentale. C’est ce que nos États membres ont fait cette année en approuvant notre plan à moyen terme. Par cette décision, ils ont apporté un soutien vigoureux au modèle qu’incarne le CERN pour la science fondamentale : un modèle construit sur un consensus qui est aussi sain aujourd’hui qu’il l’était au moment de la fondation de l’Organisation en 1954.

Certaines technologies - j’aurais même tendance à dire la plupart -, ne sont pas le résultat de choix visionnaires des gouvernements, qui auraient investi dans les domaines les plus fructueux, mais plutôt d’un ensemble de circonstances imprévisibles. Un comité stratégique aurait-il misé sur le the world wide web ? J’en doute. Remontons encore dans l’histoire. Qui aurait parié à l’époque sur Michael Faraday ? Probablement personne étant donné que le temps qui s’est écoulé entre sa découverte et son application a été bien plus long que le temps politique. Et c'est bien là que le bât blesse. Entre les premières expériences de Faraday sur l’électricité et le magnétisme et l’éclairage électrique, des décennies se sont écoulées. De même, il aura fallu des années entre la publication de l’article d'Einstein sur l'effet photoélectrique et l’apparition du transistor. Et on pourrait multiplier à l’infini les exemples de découvertes qui ont fini par trouver des applications, mais sur une échelle de temps beaucoup plus longue que le temps politique.

Pour que l’innovation soit un succès, la recherche fondamentale doit continuer de produire des résultats à partir desquels les spécialistes des sciences appliquées pourront travailler. En période de prospérité, la R&D privée va chasser sur les terres de la recherche fondamentale. Mais même là, la recherche la plus fondamentale a besoin de financements publics. En période de difficultés économiques, c’est assurément le devoir du secteur public de faire en sorte que la recherche appliquée et l’industrie restent irriguées par la recherche fondamentale. Pour cela, il faut financer la science fondamentale, stimuler le transfert de connaissances et faire en sorte que les innovations trouvent des applications à long terme, que des comités stratégiques aient ou non parié sur elles.

Quel rapport avec l’exploitation du LHC en 2010 ? Le LHC confère à la science une grande visibilité : la science est désormais populaire et donne envie à de jeunes talents d’embrasser une carrière scientifique. La pérennité de l’innovation en dépend, tout comme elle dépend d'un juste équilibre entre la recherche pure et la recherche appliquée. À l’heure où le LHC est sous le feu des projecteurs, nos succès ont plus d’importance que jamais.


Rolf Heuer