Un jour, on pourra prélever des impôts dessus

« Un jour, on pourra prélever des impôts dessus ». J’ai cité cette phrase célèbre lors de mon discours pour la réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos, où j'étais invité pour parler de l'agenda de la science en 2011. Pour ceux qui l’ignoreraient, c’est ainsi que Michael Faraday répondit à William Gladstone qui l’interrogeait sur l’utilité de ses recherches fondamentales sur un nouveau phénomène à la mode… l’électricité.

 

Quel rapport, me direz-vous, entre un savant anglais du XIXe siècle et l’agenda de la science aujourd’hui ? Beaucoup de choses, aurais-je tendance à dire. Faraday faisait de la science fondamentale, mais il était suffisamment clairvoyant pour comprendre que, grâce à la recherche appliquée, ses découvertes allaient un jour rapporter de l’argent. Ce fut le cas de la lumière électrique. Si Faraday avait pressenti le potentiel de ses recherches fondamentales, il savait également que la science fondamentale seule ne suffit pas. Tel a été le principal message que j’ai voulu faire passer à Davos.

Les pouvoirs publics font souvent la distinction entre la science fondamentale et la science appliquée, comme s'il fallait choisir entre les deux. Nous n’avons pas à choisir. Toutes deux font partie d’un cercle vertueux qu’on ne saurait rompre sans risque. Nous avons besoin des deux si nous voulons prospérer à l’avenir, et nous devons veiller à ce que les connaissances circulent entre les deux.

Pour illustrer l'importance du cycle science fondamentale-science appliquée, j’ai choisi un exemple directement lié au CERN. Dans les années 70, le Laboratoire a collaboré avec l'Hôpital cantonal de Genève pour construire l'un des tout premiers scanners TEP. Dans les années 80, nous avons développé des cristaux d’imagerie pour nos détecteurs de particules. Ceux-ci sont désormais largement utilisés dans les scanners TEP. Dans les années 90, les scientifiques du CERN collaborant avec l’industrie ont mis au point l’électronique permettant de lire ces cristaux à l’intérieur d’un champ magnétique intense. À présent, cette avancée permet le développement d'un nouveau type de scanner médical hybride, qui associe deux techniques complémentaires (TEP et IRM).

Morale de l’histoire : si la science fondamentale est un moteur de l’innovation, les sciences appliquées, de leur côté, stimulent la recherche fondamentale. Ce sont les interactions constantes entre les deux qui nous permettent d’avancer. Une fois que les physiciens des particules ont mis au point une technologie qui répond à leurs besoins, ils retournent à leurs recherches. Ce n'est pas à eux d’assurer le développement en vue d’une commercialisation. D’un autre côté, sans les résultats de la recherche appliquée, les physiciens des particules ne disposeraient pas de la technologie de base sur laquelle s’appuyer.

La science fondamentale est l’ultime moteur de l’innovation. Sans elle, il n’y aurait pas de science appliquée. Elle attire les jeunes talents vers la science en général, et sert de terreau aux innovations de demain. Mais la science fondamentale à elle seule ne suffit pas. À Davos, mon message a été de dire que nous n’avons pas à choisir entre la science fondamentale et la science appliquée. Nous avons besoin des deux. Notre prospérité à venir en dépend.

Rolf Heuer