... C'est un pur miracle - spéciales "Dernières nouvelles du LHC"

Parvenir à dompter un collisionneur supraconducteur de 27 km n’est pas une mince affaire. Si de plus vous y injectez des faisceaux de haute intensité, vous vous trouverez aux prises avec les caprices d’un système d’une complexité extrême.

 

Ce système hautement complexe a été exploré de fond en comble au cours des trois ou quatre dernières années. Mille et un facteurs sont susceptibles de faire obstacle à son bon fonctionnement : objets tombants non identifiés (UFO), nuages d’électrons, dynamique du faisceau, effets des rayonnements sur l’électronique, instabilités du vide, modifications « transparentes » de logiciel, coupures de radiofréquence ou encore problèmes du réseau électrique. Les gigantesques systèmes répartis, tels que les détecteurs de perte de faisceau, la cryogénie et les systèmes de protection contre les transitions résistives, sont constitués d’un nombre phénoménal d'éléments, qui ont inévitablement leurs défaillances occasionnelles (avec, bien évidemment, une forte probabilité que celles-ci interviennent le vendredi en fin de soirée ou pendant le week-end). Du côté de la cryogénie, refroidir et maintenir 36 000 tonnes d'aimants à 1,9 K est un prérequis exigeant pour tout ce qui suit.

Malgré leur complexité, nos aimants se tiennent bien et, d’un point de vue général, la machine est stable et présente une bonne reproductibilité du champ magnétique. Une longue campagne de mesures minutieuses, menée en période de production, nous a permis de bien comprendre le fonctionnement des aimants. Aujourd’hui, un modèle d’aimant très évolué est même capable de gérer les effets dynamiques qui étaient autrefois redoutés. Grâce à la précision et à la stabilité des convertisseurs de puissance, notre machine, qui a été optimisée avec soin, reste optimisée. L’injection, la montée en énergie et la compression sont maintenant maîtrisées et, en règle générale, les faisceaux injectés arrivent à entrer en collision.

L’exploitation des possibilités qu’offre le LHC est facilitée par la présence d’une excellente instrumentation de faisceau et d’une puissante architecture de logiciels de haut niveau. Appliquées avec intelligence, celles-ci ont permis de mettre au point des outils (par exemple pour la mesure et la correction de l’optique ou un modèle d’ouverture en ligne) grâce auxquels la performance de la machine a été optimisée. Surtout, grâce à des mesures précises de l’ouverture dans les zones adjacentes aux expériences, nous avons pu réduire à des valeurs remarquablement basses les dimensions du faisceau aux points d’interaction. L’amélioration inespérée de l’ouverture peut être mise sur le compte du respect des tolérances au cours de l’installation et d’un très bon alignement des éléments par le groupe Métrologie.

Le LHC a bénéficié dès le départ de l’excellente qualité du faisceau (de protons et d'ions) produit par le complexe d’injecteurs. Par rapport aux valeurs nominales prévues dans le rapport de conception, l’intensité des paquets est bien plus grande et la taille des faisceaux est bien plus petite. La production du faisceau dans le LINAC, le Booster du PS, le PS et le SPS est loin d’être un jeu d’enfant et exige un soin et une attention de tous les instants pour maintenir les paramètres du faisceau. Or, la luminosité obtenue en dépend directement.

Naturellement, après les travaux de remise en état qui ont fait suite à l’incident de 2008, le redémarrage de novembre 2009 s’est fait sous le signe de la prudence. Cela s’est surtout traduit par le choix d’exploiter la machine à une énergie de faisceau initiale de 3,5 TeV. Ayant fait l’expérience directe de la destructivité de l’énergie stockée dans les aimants, nous étions aussi conscients du potentiel destructeur du faisceau pour la machine, ce qui nous a incités à opter pour le mode d’exploitation que nous avons choisi et a déterminé l’évolution ultérieure de l’intensité du faisceau. Pouvoir tirer pleinement parti du système de protection de la machine (MPS) a toujours été une priorité.

Le MPS met à contribution divers systèmes pour produire un mécanisme de verrouillage du faisceau (BIS). Quand le BIS s’active, il provoque une éjection du faisceau en 3 à 4 tours (soit en quelques centaines de microsecondes). Le MPS fonctionne impeccablement, imposant un arrêt du faisceau chaque fois que cela est nécessaire.

Outre l’apport du MPS, le faisceau impose une interaction subtile entre le système d’éjection du faisceau, le système de collimation et les dispositifs de protection, dont le bon fonctionnement repose sur une bonne définition de l’ouverture, de l’orbite et de l’optique. Se plier à ces exigences tout au long de l’exploitation haute intensité reste d'une importance capitale. De nombreux verrous ont été établis pour faire en sorte que les limites définies soient toujours respectées.

La mise en service et l'exploitation du LHC ont été marquées par la capacité des équipes du CERN de résoudre ensemble les problèmes. Les équipes possèdent des compétences très poussées et une expérience approfondie de leurs systèmes respectifs, en particulier dans le domaine du vide, de la collimation, de la radiofréquence et des aimants de déflexion rapide, pour n’en citer que quelques-uns. Les problèmes tels que les effets des rayonnements sur l’électronique et le manque de redondance dans les systèmes de protection, sont ciblés avec la plus grande rigueur à mesure qu’ils apparaissent.

Malgré la précision et la rigueur nécessaires pour régler le ballet des faisceaux étroitement synchronisés et les dangers permanents liés à l’énergie stockée dans les aimants et à l’énergie du faisceau, il règne un esprit d'ouverture et une atmosphère le plus souvent amicale. Récemment, un visiteur ayant assisté à une de nos réunions de 8 h 30 relevait l’absence d’attitude défensive et la volonté de s’attaquer directement au problème sans chercher à blâmer quiconque. Le dévouement des uns et des autres est tout simplement impressionnant. Les problèmes entraînant un arrêt de l’exploitation peuvent survenir n’importe quand, avec une légère préférence pour la nuit et les week-ends. Quoi qu’il en soit, toutes les équipes donnent le meilleur d’elles-mêmes en tout temps. Pour parachever l’arrêt technique du week-end dernier, l’équipe chargée de la protection des machines et de l’intégrité électrique a travaillé jusqu’à cinq heures samedi matin et les équipes responsables du contrôle et du cadencement étaient au poste dimanche entre deux heures et six heures du matin pour gérer les effets d’une simple seconde intercalaire.

Enfin, rien ne serait possible dans le complexe d’accélérateurs sans la contribution d’une équipe d’opérateurs talentueux, intelligents et plutôt beaux, et qui ont bien sûr dû développer un sens de l’humour très pointu.

Le LHC a repris ses opérations le vendredi 29 juin, après un arrêt technique de cinq jours. Pour obtenir des informations en temps réel sur le fonctionnement de la machine, consultez la page LHC 1.

par Mike Lamont for the LHC Team