Foire aux questions : le Higgs !

Pourquoi tant d’efforts déployés pour trouver le Higgs ? Comme fonctionne le mécanisme de Higgs ? Quelle est la différence entre un « indice probant » et une découverte ? Pourquoi les physiciens parlent-ils de « sigmas » ? Découvrez-le ici !

 

  1. Pourquoi tant d’efforts déployés pour trouver le Higgs ?

Parce qu’il pourrait apporter une réponse à une question essentielle : qu’est-ce qui fait que certaines particules ont une masse et d’autres non ?

Toutes les particules fondamentales qui constituent la matière - l'électron, les quarks, etc. - ont une masse. De plus, d’après la physique quantique, les forces sont également portées par des particules. Les particules W et Z qui portent la force faible, responsable de la radioactivité, doivent également avoir une masse, alors que le photon porteur de la force électromagnétique n'a pas de masse du tout. C’est là la racine du « problème du Higgs » : comment donner une masse aux particules fondamentales et expliquer la brisure de symétrie entre les particules W et Z, qui sont massives, et le photon, dépourvu de masse ? Si l’on se contente de distribuer les masses au jugé, on aboutit à une théorie incohérente et à des prédictions absurdes. Il doit y avoir un moyen de corriger cette incohérence, et le mécanisme constitué par le champ proposé par Englert, Brout et Higgs pourrait être la réponse.

  1. Comment fonctionne le mécanisme de Higgs ?

Selon le mécanisme de Englert-Brout-Higgs, la propriété que l’on mesure à l'échelle macroscopique comme étant la « masse » est le résultat, en termes plus microscopiques, d’une constante interaction avec un champ présent dans l’Univers comme une sorte d'« éther ». L’existence de ce champ de Englert-Brout-Higgs est prouvée de façon définitive par la découverte de la particule quantique correspondante – le boson de Higgs.

Initialement, le mécanisme d’Englert-Brout-Higgs fut proposé pour expliquer pourquoi l’une des forces fondamentales de la nature a une portée très courte, alors qu’une autre force similaire a une portée infinie. Les forces en question sont, d’une part, la force électromagnétique (portée infinie) - qui nous amène la lumière venue des étoiles, fournit à nos foyers l’électricité et donne leur structure aux atomes et aux molécules qui nous constituent - et, d’autre part, la force faible (portée très courte) - qui est responsable de la radioactivité et produit l’énergie à l’origine des processus qui se passent dans les étoiles. Aujourd’hui, nous savons que la force électromagnétique est portée par des particules appelées photons, qui n’ont pas de masse, alors que la force faible est portée par les particules appelées W et Z, qui, elles, en ont une. Un peu comme des enfants qui se lancent un ballon, les particules en interaction échangent ces porteuses de force. Plus le ballon est lourd, plus la distance à laquelle il peut être lancé est courte ; de même, plus la porteuse de force est lourde, plus sa portée est courte. Les particules W et Z ont été découvertes grâce à un projet mené au CERN dans les années 1980, qui fut couronné d’un prix Nobel. Cependant, le mécanisme qui explique la masse de ces particules n'a pas encore été compris, et c’est là que le boson de Higgs entre en jeu.

Le mécanisme d’Englert-Brout-Higgs, dans sa formule fondamentale, est le modèle théorique le plus simple susceptible d’expliquer la différence de masse entre les photons et les particules W et Z ; par extension, ce mécanisme pourrait expliquer les masses d’autres particules élémentaires. La présence du champ d’Englert-Brout-Higgs permet à ces forces de cohabiter en une seule théorie électrofaible unifiée.

Il ne faut cependant pas penser que le champ d’Englert-Brout-Higgs est responsable de toute la masse présente dans l’Univers. Votre interaction avec ce champ de Higgs contribue en fait pour moins d’1 kg à votre masse. Le reste de la masse vient essentiellement de la force forte, qui lie les quarks à l’intérieur des nucléons, avec une contribution minime de la force électromagnétique, qui agit à l'échelle atomique et à l'échelle moléculaire.

Les bosons de Higgs sont des fluctuations quantiques du champ d’Englert-Brout-Higgs qui ne sont visibles expérimentalement que lorsque de l’énergie est « injectée » dans le champ. La concentration de la quantité d’énergie adéquate dans les collisions proton-proton au LHC excite le champ d’Englert-Brout-Higgs, qui entre alors en résonance à une énergie bien précise, celle qui correspond à la masse du boson. Le boson de Higgs se forme transitoirement avant de se désintégrer en d’autres particules, que les expériences du LHC peuvent mesurer. Certaines théories prédisent l’existence de plusieurs bosons de Higgs.

  1. Le boson de Higgs est-il la seule réponse possible à l’énigme de la masse ?

Non, d’autres théories ont recours à d’autres mécanismes pour expliquer le phénomène de la masse. Ainsi, par exemple, certaines théories concurrentes envisagent l'existence de dimensions supplémentaires de l'espace.

Par ailleurs, même si nous observons un indice probant de son existence, nous ne savons pas encore si le boson de Higgs est une particule élémentaire conforme à celle prédite par le Modèle standard, ou un objet plus complexe. De même, nous ne savons pas s’il existe une ou plusieurs sortes de bosons de Higgs. D’autres études et analyses seront nécessaires pour répondre à ces questions.

  1. Pourquoi l’appelle-t-on « particule de Dieu » ?

Le terme vient du livre de Leon Lederman sur la physique des particules, intitulé : « Une sacrée particule : si l’Univers est la réponse, quelle est la question ? ».

  1. Peter Higgs est-il le seul théoricien à avoir proposé une solution à l'énigme de la masse ?

Non.  En 1964, la théorie du champ de Higgs a été proposée de manière indépendante et presque simultanée par trois groupes de physiciens : François Englert et Robert Brout, Peter Higgs, et Gerald Guralnik, C. R. Hagen, et Tom Kibble. Toutefois, parmi ces physiciens, Peter Higgs est le seul qui ait envisagé explicitement l’existence de la particule qui porte son nom et a calculé certaines de ses propriétés.

  1. Quelle est la différence entre un « indice probant » et une découverte ? Pourquoi les physiciens parlent-ils de « sigmas » ?

Le boson de Higgs ne peut pas être observé directement car sa durée de vie est trop brève pour nos expériences. En fin de vie, le boson se désintègre et se transforme en d’autres particules, qui peuvent être observées par les détecteurs. Par exemple, l’une des façons pour une particule de Higgs de se désintégrer est de produire deux photons, qui peuvent alors être détectés. Malheureusement, beaucoup d’autres processus produisent également deux photons : les scientifiques comparent donc le nombre d’événements « à deux photons » au nombre attendu avec des processus déjà connus. Ils procèdent ainsi pour tous les modes de désintégration possibles, et ce n’est que lorsqu’ils constatent un excédent d’événements statistiquement significatif qu’ils peuvent parler de découverte.

En physique des particules, on parle de degré de confiance de 95 %, ce qui signifie qu’un signal donné, tel celui d'une particule de Higgs produisant deux photons, n’a que 5 % de chances d'être le résultat d'une simple fluctuation statistique. Cependant, un degré de confiance de 95 % n’est pas suffisant pour qu’on puisse annoncer une découverte. Pour cela, il faut que la probabilité d’une fluctuation statistique soit beaucoup plus faible, inférieure à une chance sur un million. C’est ce que les physiciens appellent un effet de cinq sigmas. Ce chiffre est considéré comme étant la référence du point de vue de la signification statistique ; le chiffre de six sigmas correspond à une chance sur 500 millions que le résultat soit la conséquence de fluctuations dues au hasard.

  1. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour arriver à ce résultat ?

Tout d’abord, les accélérateurs doivent être suffisamment puissants pour occasionner les collisions à haute énergie permettant la production d’une particule donnée. L’énergie la plus basse requise dans une collision pour produire une particule donnée est la masse de la particule en question. Mais il ne faut pas oublier que la particule qu'on cherche peut être produite en association avec d'autres particules, ce qui suppose alors une énergie de collision plus élevée.

Dans un collisionneur proton-proton tel que le LHC, les processus de physique sont tels que la probabilité de produire un boson de Higgs augmente considérablement avec l'énergie de collision. À titre d’exemple, le taux de production de signaux de Higgs en 2011 – alors que le LHC fonctionnait à 3,5 TeV par faisceau – était inférieur d’environ 27 % au taux de production en 2012, avec une exploitation du LHC à 4 TeV par faisceau.

En général, les processus associés à l’observation du boson de Higgs sont très rares, et c’est là que les statistiques entrent en jeu. L’erreur statistique, c’est-à-dire l'intervalle attendu des fluctuations statistiques, diminue comme l'inverse de la racine carrée de la taille de l'échantillon. Ainsi, pour diviser par deux la marge d’erreur, vous devez quadrupler l’échantillon de données. C’est pourquoi les physiciens s’efforcent toujours de recueillir un maximum de données : cela permet de réduire la taille des fluctuations statistiques possibles.

On pourrait croire que, une fois les critères d’analyse définis, il n’y a plus qu’à faire passer les nouvelles données accumulées au crible de ces critères pour extraire le type d’événements que nous voulons étudier. Toutefois, pour produire de nouveaux résultats, il faut procéder à un nombre impressionnant de vérifications et de contre-vérifications.

On peut décrire la technique d'analyse comme suit : on s’appuie sur un modèle théorique pour prédire les nouveaux phénomènes et les nouvelles particules susceptibles d’être observés, et, au moyen de méthodes de simulation complexes, les physiciens reproduisent ce que serait la réponse de leurs détecteurs à de tels événements. Ils le font d'abord pour tous les processus connus, afin de pouvoir prédire les différents types attendus d’événements produits au LHC. Ces événements simulés ressemblent exactement aux événements enregistrés par les détecteurs, à ceci près qu'ils ont été générés en s’appuyant sur notre connaissance de ce qui peut être produit par des collisions de protons dans le LHC.

Ensuite, les expérimentateurs déterminent une série de critères pour la mise en évidence de la nouvelle physique, qui sont en partie définis à partir de simulations. Les critères de sélection sont faits pour nous permettre de retrouver une aiguille dans un grenier rempli de meules de foin. Pour cela, les physiciens étudient en détails les caractéristiques d’événements intéressants possibles (par exemple le boson de Higgs), en comparant ces caractéristiques avec celles d’autres types de processus connus. À ce stade, le but du jeu est d’isoler le signal de tous les autres types d’événements, qui constituent ce que les physiciens appellent le bruit de fond. La plupart du temps, le bruit de fond constitue l’essentiel des événements enregistrés.

L'étape finale consiste à comparer la somme de toutes les simulations de processus connus qui franchissent la barrière des critères de sélection pour arriver à l’ensemble de données collectées. Dans certains cas, la comparaison avec des simulations n’est pas nécessaire, et les physiciens ont simplement à extraire des signaux de Higgs potentiels du bruit de fond déduit des données réelles.

Plus on collecte de données, plus les comparaisons sont précises, ce qui rend le résultat plus significatif. En fin de compte, l'objectif est d'arriver à des résultats absolument fiables, excluant les biais, les erreurs et les omissions.

  1. Quelles sont les étapes suivantes ?

Les données enregistrées en 2012 jusqu’à présent n’ont pas été complètement analysées, et le LHC continue l’acquisition de données. Il est donc nécessaire de poursuivre l’analyse, ce qui est en cours. Malgré les indices probants de l’existence du boson de Higgs, les propriétés de cette particule restent à étudier.

Une fois la particule identifiée et étudiée plus complètement, il faudra encore actualiser les modèles de physique (voir la question 9).

Entre-temps, le LHC poursuivra son programme scientifique, dont le Higgs ne constitue qu’une partie. En explorant le monde des particules infiniment petites, les physiciens espèrent donner des réponses aux questions relatives à l'origine et à la destinée de notre univers. Que s’est-il passé immédiatement après le Big Bang ? Pourquoi la matière a-t-elle pris le dessus sur l’antimatière, alors que, en laboratoire, matière et antimatière sont toujours produites en quantités égales ? Découvrir de quoi est faite la matière noire est certainement une des priorités du LHC, même si des modèles très en vogue, comme la supersymétrie, ne se sont pas encore manifestés malgré tous nos efforts pour les mettre au jour. Et si nous vivions, non pas dans un univers en quatre dimensions (trois dimensions d’espace et une de temps), mais dans un monde contenant des dimensions supplémentaires, qui restent cachées ? Voilà des questions bien étranges, auxquelles on apportera peut-être des réponses encore plus étranges ; de quoi donner le vertige.

En physique des particules, comme dans d’autres domaines de recherche, les physiciens continuent à étudier comme fonctionne l’Univers. Avec le Higgs, l’Univers a dévoilé l’un de ses mystères, mais il y en a d’autres.

  1. Quel est l’impact d’un tel boson de Higgs sur notre description actuelle de l’Univers ?

Le boson de Higgs viendra compléter notre description de la matière visible de l’Univers, et des processus fondamentaux à l’œuvre dans le Big Bang après un millième de milliardième de seconde. Le boson de Higgs pourrait avoir joué un rôle dans l'origine de la matière de l’Univers, et pourrait être lié à la matière noire. Il pourrait même donner une explication sur l'expansion par laquelle l'Univers a atteint sa dimension actuelle. D’un autre côté, le boson de Higgs est une particule bien différente des autres particules connues, et il pose autant de questions qu’il apporte de réponses. Par exemple, qu’est-ce qui détermine la masse du boson de Higgs, et la densité de l’énergie noire ? D’après la théorie classique, ces deux valeurs devraient être beaucoup plus grandes que les valeurs observées. La quête continue.

par CERN Bulletin