Il n'y a pas de miracles...

« Le LHC représente un effort énorme poursuivi pendant plus de 15 ans. Ça n'a pas été facile tous les jours, mais vu ses performances exceptionnelles aujourd'hui, celles et ceux qui l'ont construit ont de quoi être fiers. » Au moment de la découverte tant attendue, Lyn Evans, chef du projet LHC depuis ses débuts jusqu'à sa mise en service en 2011, se souvient avec nous du chemin parcouru.

 

Lyn Evans, ancien chef du projet LHC, dans le tunnel du LHC, en 2008.

Lors de la construction du LHC, imaginiez-vous qu’il atteindrait une telle performance ?

Lyn Evans : Je savais que la machine avait été merveilleusement bien conçue, et qu’elle était extrêmement bien construite – mais jamais je n’aurais imaginé obtenir de tels résultats en si peu de temps.

Quelles sont les raisons de cette performance ?

Lyn Evans : Le LHC a littéralement été conçu pour repousser les limites, et ce sont 30 années d’expérience accumulée qui ont nourri sa conception. Les faits sont là : à l’énergie à laquelle il fonctionne actuellement, le LHC a déjà dépassé sa luminosité nominale. À 4 TeV, la luminosité devrait être de 5 x 1033  ; or, elle dépasse nettement cette valeur.

Le LHC a donc dépassé nos attentes, et c’est grâce à la qualité de sa conception. Il n’y a pas de miracle, c’est ce qui fait que la machine fonctionne si bien. Les aimants sont d’une qualité exceptionnelle et l’alimentation d’une stabilité record – on est bien au-delà de ce qui a été fait auparavant. Sans parler de la qualité essentielle de l'instrumentation du LHC, du jamais vu. Même pendant la crise financière de 2001, alors que la pression pour réduire les coûts était énorme, pas un centime n’a été retiré à l’instrumentation.

Une crise financière qui aurait pu compromettre l'ensemble du projet...

Lyn Evans : Au démarrage du projet, nous avions dit que nous examinerions les coûts à mi-chemin et procéderions aux ajustements nécessaires. Lorsque nous l’avons fait, nous avons observé un dépassement de 18 % par rapport aux prévisions de coûts de 1993. Si l'on prend en compte le fait que ce projet était d’un niveau technique jamais atteint, c’est relativement peu. Cependant, ce dépassement a suscité beaucoup de réactions.

Quels défis avez-vous dû relever ?

Lyn Evans : Les défis ont été multiples et divers. Les premières années, ils étaient principalement de nature politique. Il fallait obtenir les approbations pour les projets et arriver à faire participer certains grands pays non membres. Après cela, le défi a bien évidemment été le développement et la conception ; à l’heure où le Conseil du CERN donnait son approbation, pas un seul aimant ne fonctionnait. Ensuite, il a fallu un immense effort de production, et nous avons eu beaucoup de problèmes. Vous vous souvenez sûrement des soucis avec la ligne cryogénique, par exemple.

Bien sûr, le vrai coup de massue a été l’incident survenu alors que nous amenions une haute intensité dans le tout dernier secteur, causé par la défaillance d’une connexion. Cela a fait très mal, même si, fort heureusement, nous disposions de pièces de rechanges, ce qui était le principal.

Bref, les défis ont changé tout au long du projet. J’ai dû faire face à 5 cas de faillite, et je vous assure que cela n’a rien de drôle. Quand vous êtes en plein milieu de la production et que tout à coup l’entreprise dépose son bilan, comment réagir ? Disons qu'il a fallu affronter une grande variété de problèmes.

Nous avons tous en mémoire la mise en service – le jour du premier faisceau au LHC – où la pression était énorme. Au final, le faisceau circulait déjà après une heure, je n'avais jamais vu une chose pareille. Normalement, cela aurait dû prendre deux semaines !

Vous avez récemment été nommé chef du projet du Collisionneur linéaire international par le Comité international pour les futurs accélérateurs.  Les accélérateurs de pointe vous font encore rêver !

Lyn Evans : En fait, je suis arrivé au CERN en tant que physicien spécialiste des lasers, pas en tant que spécialiste de la physique des hautes énergies. La première fois que je suis venu au CERN, pour 3 mois, c’était en octobre 1969, pour un projet sur les lasers de haute intensité. Ensuite, j’ai obtenu une bourse et me suis retrouvé par hasard à construire un accélérateur linéaire expérimental, à 3 MeV - en fait le prototype pour le Linac 2 et le Linac 4. Ce fut mon premier contact avec la physique des accélérateurs. 

En 1971, j’ai commencé à travailler à la construction du SPS. Une fois démontrée l’efficacité du refroidissement stochastique, à la fin des années 1970, j’ai travaillé à transformer le SPS en un collisionneur proton-proton, jusqu’à l’attribution du prix Nobel de 1984. J’ai travaillé un temps au Tevatron du Fermilab, où j’ai acquis des connaissances sur les machines supraconductrices. J’ai aussi été, pendant une période relativement courte (4 ans, de 1990 à 1993), chef de la division SPS LEP. Là, j’ai été chargé d’exploiter et de développer le LEP, avant de me consacrer au développement du LHC. En 1996, le projet était complètement approuvé. J’ai été à la barre du projet LHC tout le long, jusqu’à la mise en service de la machine. Le LHC a donc occupé une grande place dans ma vie.

J’ai eu la chance de faire partie de tous les grands projets du CERN, et j'imagine que c’est ainsi qu’on apprend. Impossible bien sûr de ne pas être motivé quand on travaille dans un endroit aussi exceptionnel.

À votre avis, quel avenir s'ouvre pour le LHC après le boson de Higgs ?

Lyn Evans : Un très long avenir. Le LHC est unique et restera encore longtemps unique. Même en admettant qu’un collisionneur linéaire soit approuvé d’ici 3 ou 4 ans, il faudrait encore une quinzaine d’années pour le construire. De plus, le LHC est actuellement la seule machine permettant de travailler à de très hautes énergies. À mon avis, le LHC va être développé pour atteindre sa capacité maximale – tant la machine que les détecteurs vont être améliorés dans les années à venir. Les détecteurs sont déjà des bijoux et leurs performances sont incroyables.

J’espère que beaucoup d'autres découvertes seront faites avec le LHC – le boson de Higgs n'est que le début. Pour moi, le devoir du CERN est d’exploiter le maximum du potentiel du LHC – que l’on construise ou pas un collisionneur linéaire. Il s’avèrera peut-être, au vu des résultats scientifiques, que nous avons besoin d’un LHC à plus haute énergie – et il serait vraiment très difficile actuellement de construire une telle machine. Mais la R&D avance, et l’on pourrait imaginer de doubler l’énergie du LHC, par exemple. Si nous construisons des accélérateurs, c’est pour répondre aux besoins de la science.

Au bout du compte, ce qui importe vraiment, ce sont les gens. Si le LHC fonctionne si bien,  c’est grâce à celles et ceux qui l’ont conçu et construit, ainsi qu'à celles et ceux qui l'exploitent actuellement. Ces équipes sont exceptionnelles !

par CERN Bulletin