L’excellence : impossible sans un personnel stable et expérimenté

Le monde entier avait les yeux fixés sur le CERN ce 4 juillet 2012, quand ATLAS et CMS ont annoncé leur découverte d’une particule « compatible avec le Higgs ». Début 2013 il n’a fallu que quelques jours pour régler le LHC et faire tourner des protons et des ions lourds.

Toutes ces découvertes et prouesses techniques n’ont été possibles que grâce à l’expérience et la poursuite de l’excellence d’équipes soudées de techniciens et ingénieurs qui ont conçu, construit, mis en marche, et finalement font fonctionner ce complexe d’accélérateurs unique au monde.

Un service d’excellence avec un encadrement adéquat

Entre 2002 et 2012 (voir Fig. 1), le nombre d’utilisateurs est passé de 5912 à 10823, les boursiers ont augmenté de 215 à 540 et les associés de 293 à 372, alors que celui des titulaires est reste stable de 2550 à 2512. En particulier, au cours des six dernières années, le nombre d'utilisateurs a pratiquement doublé, preuve de l'énorme succès et de l'attractivité du CERN en tant qu'organisation scientifique internationale. La charge de travail qui incombe aux titulaires n’a cessé d’augmenter et a aujourd’hui atteint un point critique ; il leur est de plus en plus difficile :

  • de fournir un service de qualité au nombre sans cesse croissant d'utilisateurs (espace de bureau, de soutien administratif, moyen de communication et l'infrastructure informatique) ;
  • d'organiser, d’intégrer, de former et de superviser le personnel temporaire (boursiers, étudiants, associés, stagiaires) ;
  • d'assurer la sécurité et la maintenance des machines et des infrastructures.


Par conséquent, non seulement l’érosion continue du nombre de titulaires doit être arrêtée et inversée, mais en priorité, pour sa mission qui est de garantir l'excellence du service à la communauté de la physique des particules, le CERN a besoin d’un nombre adéquat de personnel stable : titulaires formés, expérimentés, efficaces et surtout dévoués à l’Organisation.


Fig. 1 : Évolutions des différentes populations du CERN

Taux de conversion de contrats LD en IC : des années critiques devant nous

Nos collègues au bénéfice d'un contrat de durée limitée (LD) peuvent obtenir un contrat de durée indéterminée (IC) sur l'un des postes de longue durée qui seront publiés en août 2013. La Fig. 2 montre le nombre de contrats IC octroyés pendant la période 2001−2012. En particulier, en 2007 et 2008 le nombre de postes IC attribués était d’environ une cinquantaine. Par contre, en 2009, 2010 et 2011 il était trois fois plus important, ceci reflétait la prise en compte par l'administration des conséquences de l’exercice d’internalisation six ans plus tôt en 2003 et 2004. En 2012 ce nombre est redescendu à 58 (voir aussi la Table 1).


Fig. 2
: Nombre de contrats IC attribués

Année 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Recrutements 77 90 153 229 161 195
IC attribués 49 45 133 168 107 58
Retraites 88 116 114 98 82 49

Tab. 1 : Recrutements, postes IC ouverts, titulaires IC ⇔ retraite

L'engagement de la Direction devant le Conseil du CERN en juin 2012 (voir ci-dessous) de garder constant pour les prochaines années le nombre de contrats IC autour de 1750, aujourd’hui 1751, a pour conséquence un nombre d'ouvertures de poste IC équivalent au nombre de personnes en contrat IC qui quittent l'organisation, soit à la faveur d'une retraite soit, rarement, par démission. La démographie des titulaires entre 55 et 65 ans (Fig. 3) montre que seulement une quarantaine de personnes par an prendront leur retraite dans les cinq prochaines années. Si l'on compare ce nombre de quarante pour 2013 avec le nombre de titulaires dont le contrat LD (Fig. 4) se termine avant fin 2014 (recrutement en 2009 et 2010), il n'y aura moins de 30 % de LD qui pourrait obtenir un IC.


Fig. 3
: Distribution des âges en fin de carrière


Fig. 4
: Effectifs des titulaires du CERN

Depuis 12 ans, nous n’avons jamais connu un taux de conversion aussi bas, ce taux se situant (sauf en 2007 et 2008) toujours au-dessus de 60 % (voir Fig. 5). De plus, au TREF de mai 2012, la Direction avait mentionné aux délégués des États membres que le taux de conversion LD vers IC serait d’environ 40 % pour les prochains exercices. Même si ce taux de 40 % reste pour l’Association beaucoup trop bas, il y a indubitablement une incohérence entre l’interprétation littérale de ces deux déclarations. Que faire ?


Fig. 5 : Taux de conversion LD to IC

Plus de flexibilité pour le recrutement et ses conséquences non-intentionnelles

Lors de la réunion du Comité des finances de mars 2011, le Directeur général, le prof. Heuer, a présenté le Plan à moyen terme (MTP) pour la période 2012−2016, avec le calendrier des activités et les objectifs jusqu'en 2016 et au-delà. Il a souligné que le plafond imposé par ce Conseil de 2250 équivalents temps pleins (ETP) est une contrainte qui nuit à l’optimisation des performances scientifiques et empêche de répondre de manière judicieuse aux nouvelles demandes. La Direction a obtenu, dans ce contexte, de disposer de flexibilité pour transférer des ressources du budget du matériel au budget du personnel, et inversement (P⇔M), si besoin est, au cours de la période couverte par le MTP sous réserve que de tels transferts ne concernent que des projets, c’est-à-dire des activités de durée limitée et ne dépassent pas 5 % respectivement des budgets totaux du matériel et du personnel alloués.

Ainsi la Direction a pu augmenter le nombre d’ETPs en utilisant cette flexibilité P⇔M,  pour préparer le premier long arrêt (LS1). Toutefois, lors de la réunion du Comité des finances de juin 2012 pour répondre aux préoccupations de certaines délégation concernant l’augmentation du budget du personnel les dernières années, la Direction a donné l’assurance que l’augmentation du nombre d’ETP était temporaire, et correspondait  essentiellement au besoin en techniciens spécialisés et d’ingénieurs pour le premier long arrêt (LS1). Ainsi, le nombre de contrats IC devra rester aux alentours de 1750. Seule une décision du conseil fin mai 2013 justifiée par la mise à jour de la stratégie européenne pour la physique des particules pourrait modifier cet engagement.

Comme le montrent la Table 1 et la Fig. 4, les trois dernières années quelque 600 titulaires ont été recrutés sur un contrat LD, dont plus de cent dans le cadre de la flexibilité LS1. Les contrats LD ne faisant pas la distinction entre des postes « standard » et de « flexibilité », tous ces titulaires peuvent concourir pour un contrat IC. Avec un taux de conversion LD vers IC de 40 %, le CERN devra donc se séparer des services de presque 400 parmi les 600. Est-ce socialement acceptable ? Est-ce raisonnable de nous passer de la connaissance et de l’expérience acquises au prix d'un effort significatif de formation de l’Organisation et de son personnel à l’intention de ces titulaires LD ? Que de temps et d'efforts perdus et serons-nous prêts pour le LS2 prévu en 2018 ?

Cette limite de 40 % de taux de conversion est une contrainte qui met tous les acteurs actifs de l’Organisation dans l’embarras : les titulaires LD concernés, qui sont soumis à un degré de précarité et d'insécurité trop important ; les superviseurs qui veulent plus de stabilité dans leur groupe et capitaliser leur efforts de formation ; les titulaires IC, enfin, qui voient des collègues partir qu’ils ont encadrés et qui forment un partie essentielle des équipes dont la cohésion et la complémentarité des membres est essentiel pour  garantir la qualité de service demandée par nos utilisateurs.

Un IC coûte plus cher qu’un LD : un préjugé  qui a la vie dure

Un argument souvent utilisé pour justifier de limiter l’attribution de contrats IC est qu’un IC coûterait nettement plus cher qu’une succession de contrats LD. Est-ce un raisonnement correct ? Considérons le parcours professionnel d’un titulaire dans deux cas de figure.

Cas 1 : un contrat LD qui n’est pas transformé en IC au bout des cinq ans

Notation : s = salaire annuel de la dernière des 5 premières années ; y = année

  • 4,80 s   salaire des cinq années
  • 0,50 s   coaching d’un senior (4 mois à un salaire plus élevé)
  • 0,20 s  gratification de fin de contrat
  • 0,50 s  chômage en moyenne (max. 14 mois)
  • 5,00 y  durée du contrat LD
  • 0,40 y  formation initiale
  • 0,10 y   temps préparation CCRB
  • 0,30 y  recherche nouveau travail


Récapitulatif :

  • Coût total: 6,00 s  (5 années salaire + 4 mois salaire senior + prime + chômage)
  • Temps de travail effectif: 4,20 y (5 ans – formation – CCRB − recherche travail)
  • Coût effectif 1 an de travail : 1,43 s


Même sans le chômage (coût total 5,5 s) ce coût annuel effectif est de 1,30 s.

Cas 2 : un contrat LD qui est transformé en IC au bout de cinq ans (carrière totale 35 ans, de 32 à 67 ans)

  • 4,80 s   salaire total des cinq premières années

0,50 s   coaching d’un senior (4 mois à un salaire plus élevé)

  • 30 ans de travail plein temps
    • 6,10 s   6 ans : avancement presque neutralisé par diminution indemnité internationale (+0,5 %/y)
    • 31.20 s   24 ans avec avancement (60 % à la fin de la période, c.-à-d. 30 % en moyenne)
  • 35,0 y  durée des contrats LD+IC
  • 0,40 y  formation initiale
  • 0,10 y   temps préparation CCRB


Récapitulatif :

  • Coût total: 42.60 s  (5 années LD + 4 mois salaire senior + 30 années IC)
  • Temps de travail effectif: 34,5 y (35 ans – formation – CCRB)
  • Coût effectif 1 an de travail : 1.24 s


Ce calcul simple montre que le coût effectif annuel d’un contrat IC (1,24 s) est nettement inférieur à celui d’un contrat LD (1,43 s). Même en tenant compte de frais généraux annexes (p.ex. frais d’étude) un calcul plus détaillé montre qu’il n’y a aucun avantage financier à préférer une succession de sept contrats LD à l’attribution d’un contrat IC. Le seul argument serait de vouloir limiter les engagements à long terme de l’Organisation, c.-à-d. une volonté non avouée de diminuer substantiellement l’effectif, voire de fermer le CERN à moyen terme, une éventualité que nous réfutons catégoriquement.

« Retour vers les États membres » : un faux problème

Le CERN est très actif dans la formation de jeunes ingénieurs et techniciens (302 étudiants en 2012), et plus généralement dans la formation continue des associés payés (372 en 2012). En n’oublions surtout pas les boursiers, environ 500 actuellement, qui font partie du personnel et sont garants d’un retour de l’expérience acquise au CERN vers les États membres. Un effectif de 2352 ETP participe donc à la formation de plus d’un millier de personnel temporaire. Ceci nécessite un personnel stable et expérimenté.

D’après certains délégués des États membres le taux IC (Fig. 6) devrait rester inférieur à un certain seuil (70 % ?) pour garantir le retour sur investissement des États membres (des titulaires qui retournent dans leur pays d’origine après la fin de leur contrat LD au CERN). Pour être plus pertinent le calcul du taux IC devrait donc dans sa composante LD non seulement tenir compte des titulaires, mais aussi, au moins en partie, du nombre des personnes temporaires mentionnés ci-dessus pour qui le CERN contribue significativement à leur formation.


Fig. 6 : Rapport contrats IC / (IC + LD)

Une réelle politique des contrats

Le monde entier reconnaît et apprécie l'énorme succès et l'attractivité du CERN en tant qu'Organisation scientifique internationale. Cette reconnaissance est le fruit par le travail et le dévouement d’un personnel stable et expérimenté qui ont permis au CERN de garantir dans de meilleures conditions et dans la durée un haut niveau de service à la communauté de la physique des hautes énergies. Aujourd’hui la charge de travail des titulaires a toutefois atteint un point critique et avec les ressources allouées il devient de plus en plus difficile de garantir un support de qualité au nombre sans cesse croissant d'utilisateurs, d’organiser l’encadrement et la supervision du travail du personnel temporaire pour tirer le meilleur parti de leur intégration dans les équipes du CERN et d’assurer la sécurité des installations et des infrastructures.

Pouvoir compter dans la durée sur l’efficacité et l’expérience acquises par le titulaire IC pendant les cinq ans de son contrat doit être un élément essentiel dans la politique des contrats de l’Organisation. Nous ne voulons pas entendre parler de contraintes numériques auto-imposées (pas plus de x % de contrats IC, y % de taux de conversion, un effectif plafonné à z unités, etc.).

Donnons au CERN les moyens de ses ambitions : être un laboratoire à la pointe de la physique fondamentale grâce à une politique de personnel basée sur l’excellence sociale. Mettons en place une politique des contrats originale et ambitieuse qui optimise le retour sur investissement des milliards d’euros que les États membres ont investis dans le CERN et qui permettra à l’Organisation de répondre aux défis futurs dans le cadre de la Stratégie européenne pour la physique des particules qui sera mise à jour lors d’une réunion spéciale du Conseil du CERN à Bruxelles les 29 et 30 mai prochains.

by Association du personnel