Une base commune pour les projets de détecteurs de l’ILC et du CLIC

Le Collisionneur linéaire compact (CLIC) et le Collisionneur linéaire international (ILC) accéléreront des particules et généreront des collisions de manières différentes. Toutefois, les projets de détecteurs en développement présentent de nombreux points communs.

 

Contrôle approfondi des puces Timepix dans le faisceau d’essai du DESY avec l’aide du télescope de faisceaux.

Dominik Dannheim, physicien au CERN, explique que la conception des détecteurs du CLIC reprend la conception des détecteurs de l’ILC en y apportant quelques modifications. « Lorsque le projet a débuté, il y a quelques années, nous ne voulions pas réinventer la roue, note le chercheur. La conception validée des détecteurs de l’ILC a constitué un point de départ idéal pour notre projet. »

Différences essentielles
Qu’il s’agisse du CLIC ou de l’ILC, les physiciens attendent des détecteurs qu’ils soient polyvalents et capables de fournir des mesures d’une extrême précision. Toutefois, les paramètres de fonctionnement des collisionneurs seront très différents, ce qui aura d’importantes conséquences sur les différents éléments des détecteurs. Alors que l’énergie de collision prévue pour l’ILC est de 500 GeV (avec la possibilité de la porter à 1 TeV), les collisions du CLIC atteindront 3 TeV. La structure des paquets est également très différente. La distinction majeure réside dans la synchronisation des collisions. À l’ILC, les électrons et les positons entrent en collision par croisements de paquets répartis sur des trains de paquets de près d’une milliseconde. Au CLIC, en revanche, les trains de paquets ne durent guère plus de 156 nanosecondes. De ce fait, il sera plus difficile pour les détecteurs du CLIC de discerner les événements rares dans le bruit de fond des collisions.

L’énergie plus élevée du CLIC permettra d’approfondir l’exploration de la physique, mais générera également plus de bruit de fond indésirable. En outre, le temps à disposition pour déceler des phénomènes pertinents dans ce bruit de fond sera réduit. Pour Dominik Dannheim, « les simulations ont permis de constater que la plupart des sous-détecteurs du CLIC requièrent une résolution temporelle de l'ordre de la nanoseconde. De ce point de vue, ils seront semblables aux détecteurs actuellement en service au LHC, tout en visant une meilleure granularité et des mesures plus précises. »

Détecteur de vertex
Le détecteur de vertex est l'élément le plus proche du point d’interaction, où les particules entrent en collision. Le projet de l’ILC prévoit de placer près du point d'interaction un détecteur à pixels de l’épaisseur d’une feuille de papier afin d'améliorer la résolution de ces particules de durée de vie très courte.

Au CLIC, en raison des conditions peu favorables liées au bruit de fond, il a fallu repenser la conception des détecteurs internes et éloigner notamment le détecteur de vertex du point d’interaction. Les chercheurs du CLIC sont en train de développer un nouveau type de détecteur à pixels pour cette zone, dans laquelle des capteurs très fins sont couplés à des puces de lecture très rapides et de faible puissance spécialement prévues à cet effet (appelées CLICpix). Cette technologie permettra de limiter le nombre de chevauchements de particules dans le bruit de fond, qui brouillent inévitablement les résultats. Les premiers prototypes de puces de lecture CLICpix et de capteurs de 50 μm d’épaisseur ont été récemment réalisés, ce qui constitue une étape déterminante pour le projet du détecteur de vertex du CLIC. Durant les deux prochaines semaines*, les capteurs ultrafins seront passés au contrôle dans le télescope de faisceau d'essai de DESY.

Deux trajectographes
Deux projets de détecteurs sont à l’étude pour l’ILC : le Détecteur linéaire international (ILD) et le Détecteur au silicium (SiD). Les chercheurs du CLIC s’emploient aussi à revoir la conception des détecteurs ILD et SiD.

Dans le cas du projet ILD, une vaste chambre à argon – appelée chambre à projection temporelle – servira de trajectographe principal. Lorsque les particules chargées passent à travers le gaz, celui-ci s’ionise. La charge d’ionisation dérive alors dans un champ électrique jusqu’à l'extrémité de la chambre, où elle est amplifiée et enregistrée. Ce type de trajectographie offre une vision plus détaillée du parcours complet des particules et peut s’avérer utile pour identifier des particules de longue durée de vie qui se désintègrent en dessinant un motif en V. Toutefois, dans une chambre à projection temporelle, le temps de réception du signal est considérable et nécessite un volume de plus de 40 m3.

La configuration du trajectographe du SiD est différente. Cette conception de trajectographe au silicium, qui compte cinq couches de capteurs au silicium, permet une résolution de qualité et interagit très peu avec les particules. Grâce à cette technologie, le temps de réponse est beaucoup plus court, bien que l'image fournie de certaines particules en désintégration soit moins détaillée. De nombreuses possibilités existent s’agissant du futur détecteur du CLIC.

Prototype de calorimètre hadronique au tungstène pour le CLIC.

Les calorimètres « photographes »
L'utilisation de calorimètres de haute résolution est peut-être l'aspect le plus passionnant des détecteurs de CLIC et d’ILC. Ces calorimètres compteront un nombre record de canaux, ce qui permettra aux physiciens d'identifier les gerbes de particules avec une précision inédite.

« Ces calorimètres sont des systèmes d’imagerie, explique Marcel Demarteau, chercheur au Laboratoire national d’Argonne. Ils peuvent prendre des photos couche par couche. » Ce type de calorimétrie, qui est actuellement privilégié pour de nombreux futurs détecteurs de collisionneurs électron-positon, est possible grâce aux avancées technologiques qui permettent aux éléments électroniques intégrés et aux systèmes informatiques de gérer des quantités astronomiques d’informations provenant de millions de canaux.

Bien que la conception des calorimètres pour le CLIC soit proche de celle retenue pour l’ILC, des changements importants sont nécessaires pour les calorimètres hadroniques. Ceci s’explique par le fait que, pour absorber de manière efficace les particules de haute énergie générées au CLIC, il faudra un matériau très dense. Les chercheurs du CLIC s’intéressent actuellement au tungstène, deux fois plus dense que l’acier usuel, qui pourrait servir de matériau d’absorption.

Finalement, les projets de détecteurs du CLIC et de l’ILC doivent surmonter des difficultés techniques très semblables. Dominik Dannheim souligne que les chercheurs du CLIC et de l'ILC collaborent dans de nombreux domaines, par exemple les logiciels de simulation et de reconstitution, le développement des calorimètres et l'intégration mécanique. Il ajoute : « Les possibilités de synergie sont nombreuses. Bien que certains problèmes techniques soient différents d'un projet à l'autre, nous avons tous le même enthousiasme à repousser les limites de la technologie des détecteurs et à développer des instruments qui contribuent à faire avancer la physique des particules. »


*Cet article a initialement été publié dans LC Newsline, the Newsletter of the Linear Collider Community, le 29 août 2013.

par Daisy Yuhas