Nouvelles perspectives pour la recherche biomédicale au CERN

L’année 1954, une année riche en événements, vit la création de deux branches scientifiques distinctes qui allaient finalement se rejoindre. Cette année-là, le CERN était fondé et John Lawrence utilisait pour la première fois des protons, accélérés dans le cyclotron de son frère Ernest, pour traiter le cancer. L’idée n’était pas nouvelle : elle avait été avancée pour la première fois par Robert Wilson, fondateur du Laboratoire Cornell d’études nucléaires et du Fermilab. Wilson fit observer en 1946 que les protons pourraient bien être plus efficaces que les rayons X pour traiter certaines formes de cancer.

 

L’idée a mis du temps à se concrétiser. La mise en place de traitements par isotopes radioactifs a débuté au début des années 1930 : les particules accélérées étaient alors le tout dernier outil dont disposait le clinicien. John Lawrence le reconnaissait lui-même dans un article daté de 1954 : « Même si les progrès réalisés dans le prolongement de la vie et le traitement du cancer n’ont pas été énormes jusqu'ici, on ne doit pas minimiser trop vite le rôle de la radioactivité artificielle et des rayonnements nucléaires dans les thérapies contre le cancer. Le clinicien ne doit pas sous-estimer l’importance de soulager la douleur et de prolonger la vie avec un certain confort. L’intérêt de la radioactivité artificielle et des rayons nucléaires  n’est plus à démontrer dans ce domaine. »

Mais, en médecine comme en physique des particules, la patience est mère de toutes les vertus. C’est en 1994, il y a tout juste 20 ans, que le premier centre de thérapie par ions carbone voyait le jour à Chiba, au Japon. S’il était toujours parmi nous aujourd'hui, John Lawrence aurait pu rectifier ses propos de 1956 et affirmer qu’il est maintenant clairement démontré que les protons, plus précisément les hadrons, contribuent au prolongement de la vie.

C’est dans les années 1990 que le CERN entre en scène. Déjà, des centres d’hadronthérapie avaient été établis en de nombreux endroits, en particulier à Harvard et à Loma Linda, aux États-Unis, à TRIUMF, au Canada, à GSI, en Allemagne et au PSI, en Suisse. Ce nouveau champ d’investigation suscitait beaucoup d’intérêt dans la communauté de la physique des particules. Le CERN a lancé une étude visant à concevoir un accélérateur optimisé pour produire une dose stable de particules, protons ou ions lourds, selon les besoins thérapeutiques. Ce projet, appelé PIMMS (pour Proton-Ion Medical Machine Study) a abouti à la création de centres spécialisés en Italie, et bientôt en Autriche.

Cette semaine a eu lieu ICTR-PHE 2014, la deuxième édition d’une série de conférences réunissant la communauté médicale et la communauté de la physique, dont le but est de permettre aux cliniciens de comprendre ce que peut offrir la physique, et aux physiciens de comprendre ce que veulent les cliniciens. Cette conférence couvre tous les domaines où les disciplines peuvent se rencontrer, mais j'ai évoqué l'hadronthérapie parce que dans cette spécialité nous nous trouvons peut-être à un tournant. L’une des choses qui est apparue clairement de la première conférence ICTR-PHE, il y a deux ans, c’est que l’anneau LEIR est un banc d’essai idéal pour l’étude d’une gamme d’ions en vue d’un éventuel usage thérapeutique, et c’est pour cette raison que nous lançons l’initiative BioLEIR pour permettre au LEIR de mener cette tâche essentielle au cours des 11 mois de l’année au cours desquels la machine ne fournit pas d’ions plomb au LHC. Pour ce projet, un financement extérieur sera nécessaire, mais la possibilité pour le CERN de porter à un autre niveau le transfert de connaissances est une perspective stimulante.

Rolf Heuer


Si vous cherchez mon article sur la réunion de lancement de l’étude sur les futurs collisionneurs circulaires, vous le trouverez ici.