De l’hadronthérapie aux rayons cosmiques : une carrière en biophysique
En 1954, année de création du CERN, une autre aventure scientifique démarra pour ce qui est aujourd'hui le Laboratoire national Lawrence Berkeley. Pour la première fois, des faisceaux de protons provenant d’un accélérateur de particules sont utilisés par le docteur John Lawrence – frère du physicien Ernest Lawrence, qui a donné son nom au Laboratoire Berkeley – en vue de traiter des patients atteints du cancer. Depuis des années, Eleanor Blakely est l’une des artisanes de cette aventure. Elle était au CERN la semaine dernière et elle s’est entretenue avec l’équipe du Bulletin au sujet de sa carrière dans le domaine de la biophysique.
Intéressée par la biophysique, un domaine encore peu connu à l'époque, Eleanor Blakely rejoint l’équipe du Laboratoire Berkeley en 1975. C’était peu après que le Bevatron, l’accélérateur où l'antiproton a été découvert, soit relié au SuperHILAC, l’accélérateur linéaire d’ions lourds. La combinaison de ces deux accélérateurs, connue sous le nom de Bevalac, pouvait accélérer à des énergies élevées des ions aussi lourds que l’uranium.
Eleanor Blakely rejoint le groupe dirigé par Cornelius Tobias, dont les recherches ont notamment porté sur les effets des rayons cosmiques sur la rétine – étude pour laquelle il a exposé son propre œil à des faisceaux d'ions dans le but de confirmer son explication du phénomène imprévu d’éclairs lumineux que les astronautes subissent lors de voyages dans l’espace. « Voir mon supérieur se faire irradier l’œil, c’était un début spectaculaire », se souvient Eleanor Blakely. Pour l’aider dans ses recherches, Cornelius Tobias lui montra une table des énergies et des gammes des différents faisceaux d’ions disponibles au Laboratoire Berkeley. Son travail de biophysicienne consistait à découvrir quel faisceau conviendrait le mieux pour le traitement du cancer. « Je n’avais aucune idée du travail que cela représentait, reconnaît-t-elle, et c’est encore le cas ! » Cependant, ces premiers travaux à Berkeley ont montré l’efficacité des ions carbone et des ions plus lourds dans le traitement de certains types de cancer, un aspect important de l'hadronthérapie aujourd’hui.
Certains des traitements effectués au Laboratoire Berkeley ont utilisé un faisceau d’ions hélium dirigé à travers le cristallin pour détruire les tumeurs de la rétine. Eleanor Blakely a été attristée d’apprendre que, bien que la tumeur ait été détruite, les patients ont développé une cataracte, un effet à long terme de l’exposition du cristallin aux radiations près de certaines tumeurs de la rétine, ce qui a nécessité une opération de remplacement du cristallin. Suite à cela, elle a non seulement proposé une technique plus complexe d’irradiation des tumeurs consistant à diriger le faisceau à travers la sclère (la membrane extérieure dure et blanche de l’œil) au lieu du cristallin, mais elle s’est également intéressée aux effets des radiations sur le cristallin, un domaine dans lequel elle est une spécialiste reconnue.
En 1993, le Bevalac est arrêté, laissant Eleanor Blakely et ses collègues chercheurs du Laboratoire Berkeley sans accès à un accélérateur produisant des énergies suffisamment élevées pour continuer leurs recherches en hadronthéraphie. Néanmoins, grâce à son intérêt pour l’irradiation de l’œil, elle a pu suivre son premier responsable de groupe, Cornelius Tobias, « dans l’espace », du moins en tant que scientifique de laboratoire, dans le cadre de ses études sur les effets des radiations à faibles doses pour la NASA, l'agence spatiale américaine.
L’exposé d’Eleanor Blakely, « Réflexions et perspectives sur 60 ans de thérapie par faisceaux de particules », est le premier d’une série de nouveaux séminaires : Accélérateur d’innovation… en médecine.
par Christine Sutton