OPERA dévoile ses coulisses

Suite de notre feuilleton sur les neutrinos vers le Gran Sasso. Cette semaine nous tournons nos projecteurs vers les deux expériences en préparation au laboratoire du Gran Sasso : OPERA et ICARUS.

En mars 2003, l'installation du détecteur OPERA a commencé dans le Hall C du Laboratoire de l'INFN du Gran Sasso en Italie. La collaboration OPERA-CNGS1 comprend 170 physiciens appartenant à 35 instituts de recherche et universités du monde entier. Le détecteur complet devrait être prêt pour recevoir le faisceau de neutrinos de l'installation CNGS et commencer l'acquisition des données en août 2006. Tour d'horizon de l'expérience OPERA en trois questions.



L'expérience OPERA cherche à élucider le mystère de l'oscillation des neutrinos. Mais quels en sont plus précisément les objectifs ?
Quand les rayons cosmiques interagissent avec l'atmosphère, deux sortes de neutrinos sont produits : des neutrinos du muon et des neutrinos de l'électron. En théorie, les neutrinos du muon devrait être deux fois plus nombreux que ceux de l'électron, mais les expériences ont trouvé moins de neutrinos du muon que prévus. L'expérience OPERA cherche à montrer que l'oscillation des neutrinos du muon en neutrino du tau est responsable de ce «déficit de neutrino atmosphérique» (voir le Bulletin 29/2003).
Si les neutrinos oscillent, le faisceau de neutrinos du muon issu du CERN contiendra des neutrinos du tau à son arrivée au laboratoire souterrain de Gran Sasso. Le but est de détecter l'apparition de ces neutrinos du tau. Lorsqu'ils interagiront avec le détecteur OPERA, les neutrinos du tau produiront des particules tau très instables qui se désintègreront à 1 mm, au maximum, du point d'interaction des neutrinos. Le détecteur OPERA reconnaîtra ces minuscules déviations de désintégration en observant la trace de la particule tau grâce à des émulsions nucléaires faisant office de trajectographes de précision.
Sur les milliards de milliards de neutrinos du muon présents dans le faisceau de CNGS, seuls quelques-uns interagiront avec le détecteur. La Collaboration OPERA pense observer environ 40 000 événements de neutrinos du muon en cinq ans et une vingtaine d'événements de neutrinos du tau, en cas d'oscillation.
Par ailleurs, l'expérience emploiera des spectromètres à muons pour mesurer avec certitude les muons produits dans les interactions avec désintégration de particules tau.

Comment le détecteur fonctionne-t-il ?
Le détecteur OPERA est composé de deux supermodules. Chacun d'eux mesure environ 7m x 10m x 10m et comprend une section cible suivie d'un spectromètre à muons. Devant le supermodule amont se trouve un plan de chambres à plaques résistives (RPC), dont le rôle est de détecter les particules, entrée dans le détecteur, qui ne sont pas des neutrinos de manière à «interdire» ces interactions.
OPERA détectera les particules tau grâce à la technique des chambres de Wilson à émulsion (ECC), avec laquelle un grand nombre de couches d'un type particulier d'émulsion photographique fournit des images précises des traces de particules chargées, un peu comme dans une chambre de Wilson, mais avec une résolution spatiale très supérieure, de l'ordre d'une fraction de micromètre.

Quels sont les résultats attendus ?
L'analyse combinée des émulsions nucléaires et des données électroniques permettra un excellent rapport signal/bruit de fond. De plus, grâce à l'amélioration attendue de 50% du flux de neutrinos de CNGS par rapport à la valeur nominale, dans cinq ans de collecte de données,
OPERA devrait détecter une vingtaine de désintégrations de particules tau avec un bruit de fond de l'ordre de 0,7 événement, sur la base du meilleur ajustement par rapport aux données de Super Kamiokande, l'expérience japonaise qui a établi le déficit de neutrinos atmosphériques.
Compte tenu de la très bonne efficacité de la technique ECC pour la séparation et l'identification des électrons, on pense qu'OPERA améliorera aussi sensiblement la limite actuelle des oscillations des neutrinos de l'électron en neutrinos du muon qui a été fixée par une expérience avec des (anti)neutrinos de l'électron fournis par le réacteur nucléaire de Chooz en France.

Plus de détails sur le site web : http://opera.cern.ch



Composition d'OPERA

La section cible de chaque supermodule est constituée d'une alternance de 31 «murs de briques» et de 31 «trajectographes cibles». Ces murs sont constitués chacun de 3328 «briques» et chaque brique forme un empilement de 57 feuilles d'émulsions nucléaires alternant avec 56 feuilles de plomb, ce qui fait environ 900 tonnes de plomb dans chaque supermodule. Le plomb agira comme une masse cible avec laquelle les neutrinos interagiront, et les feuilles d'émulsions comme des trajectographes de haute précision servant à détecter les particules chargées - créées lors des désintégrations des particules tau produites dans les interactions des neutrinos - et à déterminer la courte trajectoire de ces particules tau avant leur désintégration.
Les trajectographes cibles sont constitués chacun de quatre modules verticaux et quatre modules horizontaux de rubans de scintillateur qui mesurent la position des particules chargées. Lorsque les trajectographes cibles auront localisé la brique où s'est produite l'interaction, la «brique déclenchée» sera retirée pour que les feuilles d'émulsions qu'elle contient puissent être traitées et ensuite analysées automatiquement afin de valider les interactions de neutrinos et de rechercher d'autres événements intéressants. Ce travail sera fait dans deux stations de dépouillement situées au Japon et en Italie, ainsi que dans des installations de mesure de précision disponibles au Japon et en Europe.
Le spectromètre à muons de chaque supermodule mesurera le signe (+ ou -) et l'impulsion des muons produits par les interactions des neutrinos dans la section cible. Le spectromètre est constitué d'un aimant dipolaire de 100 m2 constitué d'une alternance de 11 + 11 plaques de fer et de 11 + 11 plans de RPC. Trois paires de trajectographes de précision sont disposées à l'avant, dans l'entrefer et à l'arrière de l'aimant. Ils servent à mesurer l'angle de traversée des muons.