ICARUS arrive à maturité

Après plusieurs années de recherche et développement, ICARUS, véritable «observatoire» pour l'étude des neutrinos et celle de l'instabilité de la matière, voit ses efforts se concrétiser. Au cours de l'été 2001, le premier module du détecteur ICARUS T600 a en effet réussi une série de tests. L'installation et les premières acquisitions de données sont prévues au laboratoire de Gran Sasso pour 2004. Une version de 3000 tonnes devrait recevoir le faisceau de neutrinos de CNGS en 2006.



ICARUS ne cesse de prendre du poids pour piéger les neutrinos. Au final, avec ses 3000 tonnes, le détecteur de l'expérience pourra capter aussi bien les neutrinos du ciel que ceux du CERN. Comme dans un jeu de lego géant, les demi-modules de 300 tonnes, constituant le détecteur peuvent en effet s'empiler jusqu'à la masse désirée. Chaque demi-module est un pavé de 3,9 m x 4,3 m d'une longueur de 19,6 mètres. Construits à l'extérieur du tunnel du laboratoire du Gran Sasso, les demi-modules sont ensuite transportés à l'intérieur, «prêts à l'emploi». Chaque demi-module contient 250000 litres d'argon liquide sensible refroidis à - 200 °C, répartis dans deux chambres. Pour rester transportable, un demi-module ne peut dépasser les 350 tonnes d'argon liquide.

Un observatoire pour les événements rares
L'objectif de la collaboration est d'assembler cinq modules de 600 tonnes, dans le hall B du laboratoire souterrain de Gran Sasso, de façon à obtenir un détecteur 3000 tonnes destiné à l'étude des événements rares, comme les interactions de neutrinos et les désintégrations de protons. En plus des neutrinos de haute énergie (17 GeV) issus du CERN, ICARUS T3000 détectera donc les neutrinos solaires
(5-14 MeV), ceux provenant des supernovae (10-100 MeV), ainsi que les neutrinos atmosphériques (1GeV). ICARUS T3000 étudiera également l'instabilité de la matière en observant les désintégrations de nucléons.
Si autant d'observations sont possibles avec ce détecteur, c'est parce qu'il représente une nouvelle génération de chambre à bulles capable d'opérer à volume sensible très large. Il pourra donner une vue tridimensionnelle d'un événement, tout en mesurant la densité d'énergie déposée par unité de longueur par les particules produites lors d'un événement.

Un détecteur de nouvelle génération
Le premier module de 600 tonnes a été construit à l'Université de Pavie et le premier demi-module a été évalué avec des rayons cosmiques pendant 100 jours entre avril et ao t 2001. Les données récoltées peuvent laisser espérer une bonne moisson pour 2006. Un muon a en effet laissé une trace de 18 mètres de long dans les chambres à projection à argon liquide du détecteur. Ce type de chambre, imaginé en 1977 par Carlo Rubbia, combine les avantages de visibilité des trajectoires de particules (comme dans une chambre à bulles) et de flexibilité dans l'acquisition des données électroniques.

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Pourquoi avoir choisi de l'argon liquide pour traquer les particules ?
1- c'est un excellent isolant, très peu électronégatif, de sorte que les électrons libres produits par ionisation peuvent dériver sur de longues distances ;
2- il peut donner de nombreuses paires d'électron-ion, qui permettent de mesurer l'énergie déposée dans le liquide ;
3- c'est un bon scintillateur, rendant possible la mesure de l'énergie du flash lumineux produit lors d'un événement. Ce flash permet de savoir quand s'est produit l'événement ;
4- il est disponible en quantité suffisante : l'argon gazeux compose à hauteur de 1% l'atmosphère terrestre.

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Au passage de particules chargées dans l'argon liquide, des électrons d'ionisation sont produits en nombre proportionnel à l'énergie transférée au liquide. Ces électrons d'ionisation migrent jusqu'à une anode, composée de trois plans de fils de lecture. Chaque fil d'un plan de lecture mesure l'énergie déposée par segment de trace d'ionisation. Reconstructions spatiales et calorimétriques, combinées, permettent de mesurer précisément l'énergie perdue par unité de longueur (dE/dx). C'est de là que la particule d'ionisation est identifiée.
Pour les neutrinos (dépourvus de charge électrique, comme leur nom l'indique), le principe reste le même. Seule différence : le neutrino interagit avec l'argon liquide en produisant l'un des trois leptons qui lui est associé : électron, muon ou tau. Ce sont ces particules chargées qui donnent naissance, à leur passage dans l'argon liquide, à des particules secondaires ionisées. En identifiant ces dernières, il est possible de remonter jusqu'à la particule incidente et donc déterminer si c'est un neutrino du muon, du tau ou de l'électron qui a interagi initialement.
«Dans le cadre du projet CNGS, comme l'expérience OPERA, ICARUS pourra étudier les oscillations de neutrinos de muon en neutrinos du tau, avec un nombre d'événements tau au moins aussi important qu'OPERA», explique André Rubbia de la collaboration d'ICARUS. Les deux détecteurs ont en effet la même sensibilité. ICARUS T3000 cherchera, de surcroît, les neutrinos de l'électron qui auraient pu apparaître lors du voyage des neutrinos «muoniques» du CERN jusqu'à Gran Sasso. Il est effectivement possible que les neutrinos du muon puissent osciller aussi bien en neutrinos du tau qu'en neutrinos de l'électron. ICARUS pourra en apporter la preuve.

Plus de détails sur le site web : http://pcnometh4.cern.ch



Gros plan sur les modules d'ICARUS

Chaque demi-module (T300) est une unité indépendante comprenant un détecteur interne constitué de deux chambres à projection tridimensionnelles (TPC) et de leur système d'électrodes de champ, des dispositifs de surveillance, des sondes et deux ensembles de photomultiplicateurs. L'extérieur du cryostat est recouvert de plusieurs couches d'isolation thermique. Une centrale cryogénique complète le détecteur ; elle comporte un circuit de refroidissement à azote liquide qui maintient l'argon liquide (LAr) à une température uniforme et des purificateurs d'argon liquide.

Chaque TPC comprend trois plans de fils sensibles parallèles disposés tous les 3 mm. Le système haute tension (HT) comprend un plan cathodique parallèle aux plans des fils et placé au milieu du volume rempli d'argon liquide de chaque demi-module. Il y crée un champ électrique de dérive uniforme perpendiculaire à ces plans. Pour garantir l'uniformité du champ électrique dans la direction de la dérive, des jeux d'électrodes viennent compléter le système HT. Les particules chargées traversant la TPC ionisent l'argon liquide ; les électrons ainsi libérés dérivent vers les fils sensibles. Le temps de dérive étant proportionnel à la distance parcourue, on peut reconstituer complètement la topologie des événements en 3D et mesurer précisément l'énergie déposée.

L'ionisation dans le LAr s'accompagne d'une prompte émission de scintillation. La détection de cette lumière par un ensemble de tubes photomultiplicateurs placés derrière les plans de fils de détection de chaque TPC permet une mesure absolue du temps de dérive et sert de signal de déclenchement interne.
Chacun des plans de fils sensibles de la TPC fournit une projection bidimensionnelle de l'image de l'événement, l'une des coordonnées étant donnée par la position du fil et l'autre déduite du temps de dérive. On reconstitue l'événement en 3D en corrélation avec les signaux d'au moins deux plans différents et en tenant compte de la coordonnée de temps de dérive commune.