Le CERN au coeur d'un réseau d'excellence

Jos Engelen, le nouveau directeur scientifique du CERN, préconise, pour le Laboratoire, un programme marqué du sceau de la diversité, mais sans que cette diversité soit une fin en soi. Sa vision de l'avenir est celle d'un CERN apportant d'importantes contributions dans les avancées les plus décisives. Au cours d'un entretien avec le Bulletin cette semaine, il nous a confié ses rêves pour les cinq années à venir.

En tant que représentant de la physique des particules au sein du nouveau Directoire du CERN, Jos Engelen assume une lourde responsabilité. Il apporte au Laboratoire une expérience considérable - il était précédemment le directeur de l'Institut national néerlandais de physique nucléaire et de physique des hautes énergies (NIKHEF) - et il est résolu à regarder vers l'avenir.
Engelen ne se perd pas en conjectures sur la manière dont le Directoire « allégé » pourra assumer la charge de travail du précédent. « Pour moi, le moment n'est pas encore venu de parler du passé. C'est dans cinq ans que je serai prêt à le faire ». Ce qu'il voit aujourd'hui, c'est une structure de gestion décentralisée et vraiment complète, au sein de laquelle chacun a son rôle à jouer. « Il n'y a pas que la structure qui soit nouvelle », a-t-il expliqué. « La manière de travailler a changé elle aussi et la gestion des responsabilités a été très explicitement redéfinie ». La nouvelle organisation se caractérisera par la délégation des responsabilités ; celles-ci s'exerceront ainsi à tous les niveaux hiérarchiques et chacun sera jugé selon ses résultats.


Jos Engelen, Directeur scientifique, s'adresse au Bulletin.

A l'heure de la synergie
Dans la nouvelle structure, ce n'est pas seulement le Directoire qui a suivi une cure d'amaigrissement : le nombre des départements est réduit lui aussi. Ces mesures s'inscrivent dans la droite ligne des recommandations du Comité d'examen externe (ERC), qui avait été créé en 2001 pour se pencher sur le programme du CERN. L'ERC avait pour but de définir une taille gérable pour le Comité de direction et une masse critique pour chaque unité opérationnelle du CERN, en mettant à profit les synergies entre les diverses unités. Un exemple en est la fusion entre les divisions Physique expérimentale et Physique théorique. La fin d'une époque ? Loin de là, selon Jos Engelen. « Ce regroupement ne marque aucune rupture avec le passé, mais s'impose tout naturellement, compte tenu des tailles respectives de la grande Division de physique expérimentale et de la Division de physique théorique, beaucoup plus petite, mais néanmoins très importante. »
Selon Engelen, le nouveau département PH sera bien plus que la somme des deux divisions EP et TH réunies. Par ailleurs, il est convaincu que la Théorie a un rôle décisif à jouer dans la définition de la stratégie à long terme du CERN et que sa nouvelle situation dans la structure lui permettra de mieux le remplir. Les théoriciens continueront de participer aux travaux de la Commission de la recherche, mais pourront désormais assumer un rôle plus important dans la vie des expériences du Laboratoire. « Le prochain chef du Département PH pourrait bien être un théoricien » affirme Engelen pour bien souligner ce point.

Une diversité bien pensée
Comme environ 5000 des 6500 utilisateurs du Laboratoire travaillent pour les expériences LHC, il est facile d'établir où se situent les priorités du CERN. Mais une spécialisation à court terme n'exclut pas la diversité à plus longue échéance. « Le moment est assurément venu de parler de l'avenir après le démarrage du LHC ». Les premiers faisceaux du LHC seront suffisamment brillants pour assurer quelque 800 millions de collisions par seconde à l'intérieur des grands détecteurs. Et, comme si cela ne suffisait pas, on parle déjà d'augmenter la luminosité de la machine. Comme l'explique Engelen, cela ne signifie pas seulement augmenter le nombre de collisions. « Les protons sont des essaims de quarks et de gluons s'échangeant mutuellement l'énergie protonique ». « Une luminosité accrue permet d'augmenter un petit peu les chances que deux quarks ou gluons de très haute énergie entrent en collision. » Au LHC, cela pourrait être l'équivalent d'une augmentation de l'énergie d'au moins 20 %. « Cela est absolument envisageable, dit-il, mais ce n'est pas pour demain ».
Pour revenir à la question de la diversité, Engelen a indiqué que le projet de collisionneur linéaire CLIC est la priorité absolue pour les travaux de R&D sur les accélérateurs du CERN et il a souligné que le Directeur général espère que les Etats membres verseront des contributions supplémentaires pour le projet. Il a aussi insisté sur la volonté de la Direction que le CERN remplisse son mandat à la lettre, pour être non seulement un centre d'excellence, mais aussi un moteur au sein d'un réseau d'excellence, un lieu où se discute la stratégie européenne pour tout le domaine. « Selon moi, le défi sera pour nous de promouvoir de nouvelles évolutions en collaborant avec d'autres laboratoires et instituts européens de physique des hautes énergies ». Cette collaboration pourrait couvrir toute la gamme des activités du CERN, de la physique fondamentale à la R&D sur les accélérateurs et les détecteurs.
Pour ce qui est du programme de recherche du CERN, Jos Engelen le préconise tout aussi varié que par le passé. Mais il veut avoir l'assurance que tout ce qui se fait au CERN est du plus haut niveau de qualité et que toutes ses activités y sont menées parce qu'il est le meilleur endroit pour les mener à bien. Si d'autres laboratoires sont mieux placés que lui, le CERN devrait apporter son soutien à leurs programmes et collaborer avec eux. A titre d'exemple, il évoque l'installation internationale de production de faisceaux d'ions lourds et d'antiprotons de haute intensité, dont la construction au Laboratoire GSI, en Allemagne, a récemment été approuvée. « Cette installation est très susceptible de s'intéresser à une partie de notre actuel programme avec cibles fixes », dit-il. « Nous devrons en tenir compte, tout comme le GSI devra prendre nos idées en compte ». Jos Engelen considère ce type de dialogue comme indispensable pour la vitalité de la physique fondamentale.
Tout se résume dans le concept de réseau d'excellence. « Le CERN doit-il poursuivre ses activités sur tout le spectre du domaine ? » demande Engelen. « J'estime que son programme doit rester aussi diversifié que possible, mais sans que la diversité soit une fin en soi. Le CERN doit se maintenir à la frontière de la physique. »
Si ambitieux que cela paraisse, Engelen voit de nombreuses orientations potentielles pour diversifier le programme. La physique des neutrinos est dans la tradition du CERN, mais nous devons surveiller de près ce qui se passe ailleurs dans le monde. Outre le programme CNGS, qui a été approuvé, d'autres idées très intéressantes s'ébauchent déjà sur le rôle que pourrait jouer le CERN dans ce domaine. L'expérience COMPASS vient également prolonger les activités de longue date du CERN dans le domaine de la physique des muons et des hadrons avec cibles fixes. L'expérimentation avec les kaons continue de fournir des résultats de qualité et, lorsque le LHC sera en service, le programme d'ions lourds avec cibles fixes pourrait jouer un rôle complémentaire de celui de l'expérience ALICE. Du côté des plus basses énergies, Engelen reconnaît que le programme antihydrogène, l'installation ISOLDE et le programme n-ToF n'ont pas leurs pareils. Dans tous ces domaines, il est convaincu que le CERN doit examiner très attentivement quelles sont les contributions uniques qu'il pourrait apporter.
Ainsi, le CERN peut se réjouir à la perspective d'un programme de recherche riche et varié à long terme. Jos Engelen indique clairement où se situent les priorités du Laboratoire à plus brève échéance : ce sont le LHC, ses expériences et sa Grille de calcul. « Nous connaissons tous nos objectifs pour les douze prochains mois », conclut-il, « et je ne doute pas que nous les atteindrons. »