Le premier chaînon de la grande boucle

La première interconnexion entre deux cryoaimants du LHC vient d'être entreprise. Pour réaliser les 1700 interconnexions du collisionneur, 123 000 opérations de soudure et d'assemblage seront nécessaires.


Opération de soudure entre deux aimants pour la première interconnexion réalisée pour le LHC.


La grande boucle bleue, qui ne s'affichait jusqu'à présent qu'au travers d'une image de synthèse, commence à se matérialiser dans le tunnel. Les aimants descendant les uns après les autres, c'est au tour de l'équipe chargée de les interconnecter de se lancer dans les grands travaux. Le 3 mai, la première connexion a été entreprise entre un aimant cryodipôle et une section droite courte (SSS).

La tâche, pour relier tous les composants de la machine entre eux, est impressionnante. Pas moins de 1700 liaisons entre les aimants supraconducteurs, mettant en oeuvre 250 000 composants, sont à réaliser. Les équipes doivent relier les systèmes de vide, les câbles électriques supraconducteurs, les écrans de faisceaux, les canalisations cryogéniques, les isolants thermiques et électriques. Chaque interconnexion nécessite soixante opérations.

Les technologies mises en oeuvres sont pour certaines inédites. Trois techniques différentes sont par exemple utilisées pour relier les câbles supraconducteurs : le brasage inductif, le brasage résistif et la soudure par ultrasons. « Le niveau de courant dans les conducteurs du LHC a nécessité des développements spéciaux afin de minimiser la résistance électrique de contact», indique Alain Poncet, chef du groupe Cryostats et interconnexions.

Toute la difficulté pour les liaisons électriques tient en effet à la supraconductivité. Les courants transportés sont si intenses - plus de 12 000 ampères pour les aimants principaux - que la moindre résistance aux jonctions crée un point d'échauffement. Or, le LHC est refroidi à une température proche du zéro absolu (1,9 K, soit -271°C). « Chaque watt dissipé implique une dépense d'énergie par les réfrigérateurs. A une température aussi proche du zéro absolu, c'est une donnée critique », remarque Alain Poncet. Pour optimiser les coûts de fonctionnement de la cryogénie, la résistance des points de soudure doit par conséquent être aussi faible que possible. En l'occurrence, les brasures par induction, utilisant l'étain-argent comme métal d'apport, présentent une épaisseur de 100 micromètres seulement et une résistance inférieure au milliardième d'ohm.

De surcroît, les câbles supraconducteurs sont constitués de milliers de filaments en niobium-titane supraconducteur, d'un diamètre de l'ordre de 6 micromètres chacun, insérés dans une matrice de cuivre. Or, l'intensité du courant peut varier dans ces différents filaments. « La jonction permet aussi de redistribuer le courant dans les différents brins », indique Jean-Philippe Tock, chef de la section pour les interconnexions.

En plus de ces interconnexions électriques, 50 000 soudures inox sont à effectuer pour les jonctions des tubes de faisceau, des canalisations cryogéniques et des écrans thermiques. Enfin d'autres types d'assemblages sont à réaliser pour les isolations thermique et électrique.

Les techniques d'interconnexion ont été développées au CERN et éprouvées sur la chaîne de test du LHC, avec des machines prototypes. Elles ont ensuite fait l'objet d'un appel d'offres et d'un transfert de technologies. IEG (Ineo-Endel-GTI), le consortium franco-néerlandais qui a remporté le marché, a pris en charge l'ensemble de la réalisation ainsi que la fourniture des machines de soudure et de brasage. « Les opérations sont en grande partie automatisées, précise André Jacquemod, de la section chargée des interconnexions. Les machines sont à la pointe de la technologie, effectuant même un contrôle en ligne des paramètres de réalisation. »


A l'occasion de la première interconnexion, Lyn Evans, le chef du projet LHC, teste le principe de co-activité dans le tunnel, à savoir la réalisation de plusieurs tâches en parallèle pour l'installation du LHC.

Plusieurs équipes sur plusieurs fronts

La révision du planning de l'installation du LHC, suite aux problèmes rencontrés lors de l'installation de la ligne cryogénique l'an passé, a introduit un principe de travail en parallèle. La réalisation des interconnexions ne déroge pas à cette règle. Après les première semaines de rodage, deux équipes du consortium Ineo-Endel-GTI seront au travail à compter du 1er juillet. « L'objectif est de parvenir à six équipes intervenant sur six fronts à la fin de l'année, et ce, en deux rotations », précise Jean-Philippe Tock, responsable de la section pour les interconnexions.

Ce grand chantier bénéficie en outre d'une coopération polonaise. Un accord de collaboration a été signé en 2003 avec l'Institut de physique nucléaire de Cracovie (HNINP) dans le cadre duquel une équipe d'une vingtaine de scientifiques de cet institut assure le contrôle des interconnexions du LHC. Huit scientifiques polonais sont déjà formés et à pied d'oeuvre. Leur travail est crucial, mais difficile. Si de nombreuses vérifications sont automatiquement effectuées en ligne, une partie des contrôles relève de l'inspection visuelle. Pour l'ensemble des équipes chargées des interconnexions, la grande difficulté tient justement au travail en parallèle avec d'autres intervenants. « Les opérateurs doivent conserver leur concentration malgré les passages répétés de personnes et de matériel à proximité des sites d'interconnexion », remarque André Jacquemod.